999 - Une nuit en attendant le jour

N. Lygeros

Il faisait nuit et pourtant il était encore plongé dans ses livres. Elle hésitait. Elle désirait le gronder comme toute mère mais son esprit la retenait. Elle voulait lui montrer qu’elle l’aimait mais elle ne voulait pas nuire à son œuvre. Elle repensa à ce terme et elle sourit. Comment parler d’œuvre, il était si petit qu’il avait du mal à voir toute l’étendue de sa table malgré sa chaise surélevée. Il était si faible et pourtant il se dégageait de lui une puissance qu’elle n’avait jamais connue auparavant si ce n’est au moment de cette étrange annonce. A présent, elle le regardait et son instinct maternel se refusait à croire ce que son esprit pensait. Elle s’approcha lentement de lui. Elle voulait l’embrasser de toutes ses forces mais elle se retint au dernier moment. Elle comprit qu’il avait senti sa présence aussi elle s’immobilisa. Elle ne savait que faire. Elle attendait un geste de sa part. Aussi celui-ci se retourna lentement et posa sur elle un regard dont elle eut du mal à en saisir le contenu. Elle était venue pour lui dire qu’elle l’aimait comme toute mère l’aurait fait. Et pourtant dans son regard elle découvrit non pas le regard de son fils mais celui de son père au moment de sa mort. Elle esquissa un sourire mais avant qu’une larme ne tombe sur sa joue, il était à ses côtés. Comme s’il avait lu ce livre ouvert qu’elle représentait pour lui. Elle ne fut pas surprise par son mouvement. Elle avait fini pas s’habituer à son étrange aptitude à comprendre les sentiments humains. C’était une sorte de don dont elle ne comprenait pas la provenance ou la providence. Elle le serra tendrement dans ses bras tandis que lui écartait les siens afin de l’entourer le plus possible. C’était comme s’il sentait son immense douleur. En un instant, elle sentit en elle un océan de plénitude comme si toute souffrance avait disparue de son corps et de son esprit. Elle regarda son fils mais celui-ci la tête en arrière regardait déjà le ciel les bras en croix. Elle ne saisit pas la signification de ce geste mais elle s’empressa de se pencher sur ce petit corps qui n’était qu’esprit et l’embrassa le plus tendrement possible sur son cou. Elle qui était soulagée de toute souffrance, fut prise d’une angoisse inexplicable. Il lui sembla qu’elle tenait dans ses bras un corps inerte qui n’était plus que souffrance. Elle était inconsolable jusqu’à ce que la tête du petit se relevât. Il contempla son regard embué. Il savait qu’elle serait à ses côtés jusqu’à l’ultime instant. Alors il l’embrassa comme si c’était la dernière fois. Il but toutes ses larmes et son visage retrouva toute sa sérénité d’antan. Alors comme pour le remercier, elle le gronda comme l’aurait fait toute mère, souffla sa dernière bougie et l’emporta dans son petit lit. Là, elle le borda et l’embrassa sur le front. Ainsi s’acheva cette nuit en attendant le jour.