914 - Sur le schéma mental de la rupture méthodologique

N. Lygeros

En parcourant l’histoire des mathématiques et à travers elles, les différentes tentatives pour résoudre des problèmes difficiles, nous ne pouvons manquer de nous apercevoir de l’existence d’un schéma mental que nous nommerons de la rupture méthodologique.

Parmi les problèmes les plus anciens des mathématiques et sans doute celui qui a le plus résisté à la perspicacité des mathématiciens nous avons le problème de la quadrature du cercle. Sa célébrité dans l’antiquité provient sans doute des échecs des grands mathématiciens de l’époque mais ce n’est pas le propos de cet article. L’important à nos yeux, c’est l’approche effectuée par les Grecs pour l’aborder et le contourner. Rappelons qu’il s’agit de construire à la règle et au compas un carré ayant même aire qu’un cercle donné. Pour être plus complet il faudrait aussi préciser que nous trouvons dans le papyrus de Rhind écrit par le scribe Ahmès, une formulation de ce problème à savoir : « construire un carré équivalent à un cercle ». Cependant la réponse fournie par le scribe ne peut nous convenir puisqu’il se contente d’affirmer qu’il suffit de « retirer 1/9 au diamètre et construire le carré sur ce qui reste ». Les Grecs ne sont pas parvenus à résoudre ce problème et c’est justement parce qu’ils ne sont pas tombés dans l’erreur qui consiste à penser le problème résolu que nous pouvons considérer ce dernier comme un exemple pour notre propos. Parmi les premiers à s’être attaqués au problème de la quadrature du cercle nous trouvons Hippocrate de Chios qui a réussi à quarrer certaines surfaces limitées par des cercles. Ensuite nous avons Hippias d’Elis qui a inventé une courbe auxiliaire pour résoudre le problème de la trisection de l’angle, et Dinostrate qui l’a interprétée par la suite comme quadrature – d’où le nom donné à la courbe – pour résoudre la quadrature du cercle. Cependant, sans doute sous l’influence de l’école pythagoricienne et de l’académie platonicienne, les Grecs ont persévéré dans la construction uniquement à la règle et au compas jusqu’à l’arrivée d’Archimède.

En effet l’apport de ce dernier est d’une toute autre nature puisqu’il s’agit cette fois de mieux connaître le nombre p. En laissant de côté la notion de construction exacte Archimède a du même coup effectué une rupture méthodologique. Il serait sans doute osé de dire que cette approche originale soit due à la conscience du caractère non résoluble du problème mais quoi qu’il en soit les faits sont là, Archimède s’attache à p et non au problème proprement dit. Et nous considérons qu’il y a là dans cette attitude une trace de la présence du schéma mental. Car comme nous pouvons le justifier a posteriori sachant que la résolution de la quadrature du cercle via la construction à la règle et au compas, nous ne pouvons que louer la présence d’esprit d’Archimède. Nous voyons dans son approche les prémices de ce que nous verrons plus tard avec Abel et la résolution par radicaux des équations polynomiales de degré strictement supérieur à 4, avec Gödel et le programme de Hilbert avec Matiajevic et le dixième problème, avec Cohen et l’hypothèse du continu. A chaque fois nous sommes en présence de l’acceptation d’une nouvelle entité qui s’avère intractable puis de la création d’une nouvelle approche au sein de cette mentation qui elle seule permet de transcender nos connaissances et d’avoir de nouveaux horizons mathématiques via la rupture méthodologique.