83 - Arsène le Grec de Constantin Papoulidis. (trad. du grec)

N. Lygeros

Arsène le Grec est un célèbre clerc grec du 17ème siècle, professeur de grec à Moscou, correcteur des livres slaves de liturgie de Russie à l’époque du patriarche Nikon et presque inconnu des lettres grecques.

En raison de l’absence d’éléments suffisants, il est difficile d’établir sa biographie. Les parties de sa vie qui sont les plus connues sont celles qui sont en relation avec les réformes du patriarche Nikon (1652 – 1658), mais les précédentes c’est-à-dire jusqu’à son apparition à Moscou (janvier 1649), ne sont connues que par la déposition qu’il fit devant ses interrogateurs quand il subit un martyre équivalent à celui de l’Inquisition et fut enfermé, comme Maxime le Grec, dans un monastère.

À partir des réponses d’Arsène, nous apprenons qu’il fut le cinquième et dernier enfant du prêtre Antoine et qu’il naquit à Trikala. Son premier maître fut son père, et celui-ci fut suivi de son frère l’archimandrite Athanase. Nous n’avons aucune autre information sur sa famille. Quand Arsène eut 13 ans, il alla avec l’archimandrite Athanase à Venise, où il étudia pendant un an la grammaire. L’année suivante Athanase conduisit Arsène à Rome, où pendant cinq ans il étudia au collège Saint Athanase. Après son séjour à Rome, il retourna en Italie du Nord où il étudia pendant trois ans la philosophie et la médecine à Padoue. Plus tard, nous trouvons Arsène à Constantinople, où il alla vivre auprès de son frère Athanase. Après Constantinople, nous le retrouvons en tant que moine-prêtre auprès de l’évêque de Larissa, Callistos, lequel l’envoya au monastère de la Vierge à Skiathos. Il semble pourtant que l’esprit inquiet d’Arsène ne pouvait rester enfermé dans un monastère, et de Skiathos, il partit, après un arrêt à Chios, pour Constantinople où il devint le professeur du fils d’un riche grec. Rapidement, il abandonna Constantinople pour la Moldavie, où il vécut deux années, puis il se retrouva à L’vov. Là-bas il apprit qu’il y avait une École à Kiev et que pour y enseigner il fallait être nommé par le roi de Pologne. Il ne perdit pas de temps et alla à Varsovie où il eut l’occasion de guérir le roi catholique de rite romain, Vladislao IV (1632 – 1649). Alors il obtint une lettre de recommandation par le métropolite orthodoxe de Kiev, Sylvestre Kosov (1648 -1658). Ainsi, après toutes ces aventures, Arsène enseigna à l’École de Kiev, laquelle avait été fondée par le métropolite de Kiev, Pierre Moghila.

En 1649, lorsque le patriarche de Jérusalem, Païssios (1645 – 1660), passa par Kiev, en allant à Moscou pour recueillir des fonds et pour exposer la situation dans les Terres Saintes, il avait parmi ses suivants le “moine-prêtre” et “professeur”, Arsène. À Moscou, tant au palais qu’au patriarcat, on avait besoin de grecs cultivés pour être conseillé. Alors Païssios, comme d’autres chefs ecclésiastiques de l’Orient chrétien, conseilla au tsar Alexi Michailovitch (1645 – 1676) la fondation d’une École Supérieure à Moscou. En juin de la même année, le patriarche partit, mais Arsène demeura à Moscou et pour la raison précédente, il ne retourna pas à Kiev pour poursuivre son enseignement. P. Pascal rapporte qu’Arsène le Grec, quand il resta à Moscou, avait environ 40 ans et B. Fonkic suppose qu’il donnait des cours privés et qu’il n’enseignait pas dans une école. C’est un fait qu’Arsène le Grec enseigna à Moscou la langue grecque et la rhétorique. Cependant cette situation changea rapidement car le patriarche Païssios, avant de quitter la Russie, dénonça Arsène. Les accusations à son encontre étaient terribles dans le cadre où vivait le clerc grec nouvellement arrivé : quand Arsène le Grec étudiait à Rome (il y était à l’âge de 14 ans) il devint uniate et quand il alla vivre auprès de son frère, l’archimandrite Athanase, il devint musulman ; ainsi concluait Païssios, il n’était pas le grec adéquat sur lequel les Russes pouvaient compter. À partir de ce moment-là, quelques mois après sa venue à Moscou, commencèrent les épreuves d’Arsène. La conséquence de l’accusation du patriarche Païssios fut la nomination d’une commission d’interrogatoire par le boyard* Nikita Ivanovitch Odoevski et le diacre Michaïl Volosenikov, qui interrogèrent Arsène. C’est à partir des réponses d’Arsène que nous avons obtenu les quelques informations que nous avons mentionnées sur son esquisse biographique, avant son apparition en Russie. Par nos sources nous apprenons qu’Arsène le Grec reconnut qu’il était devenu uniate à Rome et qu’il avait été obligé de devenir musulman à Constantinople, car il avait été soupçonné d’être un espion au service des Vénitiens, et pour sauver sa vie, il s’était converti à l’islam. Cependant Arsène affirma que son retour au christianisme et à l’orthodoxie fut fait par l’onction du métropolite de Ioannina, Ioassaf, et que cela était connu du patriarche Païssios qui l’avait pardonné dans une lettre du patriarcat. N. Kapterev qualifia Arsène le Grec d’aventurier, qui avec les latins était devenu latin, avec les musulmans musulman et avec les orthodoxes orthodoxe. En juillet 1649, la commission décida l’enfermement d’Arsène le Grec dans le monastère Soloveckij et l’envoya là-bas pour fortifier sa foi chrétienne”. Avec l’éloignement d’Arsène le Grec de Moscou, le projet de création d’une École Supérieure fut abandonné pendant des années.

Arsène vécut trois ans enfermé dans le monastère Soloveckij. Les moines russes, à propos de son séjour, certifièrent qu’il fut un exemple en tant que fidèle serviteur de l’orthodoxie.

En 1652, le patriarche de Moscou, Nikon, libéra Arsène le Grec et fit de lui son collaborateur principalement dans la correction des livres slaves de liturgie. C’est pour cette raison que l’on accusa le patriarche d’avoir le projet d’helléniser l’église russe grâce à ses réformes et en utilisant Arsène le Grec. Les accusateurs du patriarche ont écrit qu’avec ces réformes “la foi en Russie a subi des coups mortels de la part des ennemis du Christ, Nikon et Arsène”. Un autre historien russe, de la diaspora, a écrit récemment sur “la grécomanie du patriarche Nikon” qui était si naïve qu’il imposa la cuisine grecque à la cour patriarcale. N. Kapterev a écrit que cela avait été une erreur tactique de la part de Nikon d’utiliser un Grec qui avait abandonné l’orthodoxie et qui était devenu uniate et musulman, un Grec à propos duquel la condamnation de 1649 mentionnait de manière explicite qu’il s’agissait d’un hérétique.

Quand Arsène le Grec s’installa à Moscou en 1652, ce fut “sous surveillance”, bien que les moines russes du monastère Soloveckij certifièrent, comme nous l’avons mentionné, qu’Arsène le Grec avait vécu suivant le dogme orthodoxe et qu’il avait eu le sens de l’orthodoxie. De 1653 à 1655 il enseigna à l’école gréco-latine du Kremlin, “près du patriarcat”, et à partir de 1654 il fut nommé comme responsable, à l’imprimerie de Moscou, des corrections des livres de liturgie et par conséquent c’était l’un des collaborateurs du patriarche de Moscou, Nikon. Il conserva ce poste jusqu’au mois de mai 1663, date à laquelle il fut remplacé par l’archimandrite Dionysios l’Ibère. Comme beaucoup des manuscrits qu’Arsène Suhanov avait pris au Mont Athos, furent utilisés par Arsène le Grec pour les corrections des livres de liturgie à l’imprimerie de Moscou (beaucoup des corrections effectuées sur les livres de liturgie avaient pour modèles les manuscrits grecs du Mont Athos), B. Fonkic pense que lorsque Arsène Suhanov partit de Moscou, il avait dû prendre des conseils non seulement auprès de Nikon mais aussi auprès d’Arsène le Grec. Cela se voit, c’est B. Fonkic qui le déduit, par le fait qu’Arsène le Grec pouvait utiliser de 1655 à 1658 tous les manuscrits qu’il désirait parmi ceux qu’avait apportés Arsène Suhanov du Mont Athos à Moscou.

En 1658, Nikon s’éloigna de la chair patriarcale. Arsène le Grec vécut “sous surveillance” jusqu’en 1663, date à laquelle il fut à nouveau arrêté et enfermé au monastère Soloveckij, bien que les moines du monastère avaient certifié au patriarche en 1652 qu’il avait vécu de manière exemplaire dans la foi orthodoxe. Finalement il vécut là-bas trois ans, jusqu’en 1666, date à laquelle il fut aussi libéré de la surveillance. L’année 1666 est la dernière date connue de la vie d’Arsène le Grec. Combien d’années vécut-il ensuite ? Que fit-il ? Où vit-il ? Cela nous l’ignorons. Les sources russes l’examinent et le mentionnent qu’en fonction des réformes du patriarche de Moscou, Nikon. L’information de M. Jordan suivant laquelle Arsène serait devenu évêque demeure sans preuve.

Arsène le Grec n’était pas un aventurier ainsi que veulent bien le dire les plus jeunes historiens russes. Il avait conservé cette accusation des ennemis du patriarche de Moscou, Nikon, lesquels ayant en vue son passé religieux rempli d’aventures, sa vie dans les Balkans, ses études en Italie, ses difficultés à Constantinople, et les jugeant avec le point de vue moscovite, le voulurent aventurier. À partir de l’étude minutieuse du travail et de l’apport d’Arsène le Grec en tant que correcteur des livres de liturgie à l’époque de Nikon, de son apport en matière d’enseignement et de la codification de B. Fonkic, nous pouvons en déduire qu’Arsène le Grec n’était pas seulement un théologien théoricien, le collaborateur du patriarche de Moscou, Nikon, mais aussi l’esprit éclairé doté de connaissances encyclopédiques nécessaire au cercle de Nikon. Se pose alors la question suivante : un Grec qui a étudié la médecine en Italie du Nord pouvait-il ne pas subir des accusations et des ostracismes au milieu du 17ème siècle à Moscou ? Arsène était un moine érudit qui participa de manière essentielle au domaine culturel de la société russe du 17ème siècle. Lorsqu’en 1649 l’on décida son enfermement dans le monastère Sloveckij, on ordonna par un oukaz, la recherche et l’inventaire de ses objets personnels. Et l’on ne trouva que des livres rares (grecs et latins) et des manuscrits grecs.

L’oeuvre d’Arsène le Grec est essentiellement celle d’un traducteur. En dehors de son apport dans les traductions des livres de liturgie, nombre de ses textes furent identifiés par la suite grâce à la codification que fit B. Fonkic sur différents manuscrits.

Des oeuvres intégrales d’Arsène le Grec nous n’en mentionnerons qu’une, la seule connue jusqu’à ce jour, Anthologie, qui est un recueil de ses différentes traductions. Ce qui est important, c’est que cette anthologie fut publiée en 1660 c’est-à-dire deux ans après l’éloignement de Nikon.

NdT :

boyard : (mot russe) Noble de haut rang des pays slaves et de Roumanie.