812 - Les colonnes du temps

N. Lygeros

Rares étaient les hommes à oser s’aventurer dans l’ancienne rue aux étranges colonnes. Celles-ci étaient bien antérieures à la construction de la rue. Elles appartenaient à un passé bien plus ancien encore. Elles étaient les stigmates d’une époque où les dieux étaient nombreux. Chacune rappelait un dieu particulier et elles avaient été plantées dans le désert pour marquer leur territoire et pour indiquer la voie. C’était ainsi que la rue, invisible au départ, était devenue un lieu de passage pour les initiés. Les hommes ne savaient plus lire les signes des colonnes mais ils en connaissaient la puissance. Toutes différentes, les colonnes formaient un ensemble hétéroclite. Et pourtant dans cette rue, leur assemblage avait un sens secret que certains hommes s’efforçaient de percer. Elles soutenaient le temps et avec lui l’histoire des anciens hommes. Mais elles étaient aussi là pour indiquer les portes d’accès. Ces portes dont nul ne connaissait l’aboutissement se démarquaient aisément des autres, par leur sculpture ancestrale. Elles témoignaient de la présence d’une ancienne civilisation. Comme les colonnes elles étaient ancrées dans le passé mais celles-ci demeuraient ouvertes. Chaque homme pouvait frapper à ces portes seulement personne n’osait. Et lorsqu’elles s’ouvraient d’elles-mêmes, les hommes s’éloignaient afin de ne pas être dans le passage du temps. Pourtant ils savaient qu’un jour un homme viendrait et qu’il choisirait l’une d’entre elles pour passer dans l’ailleurs. Ils l’attendaient tous. Et s’ils s’aventuraient dans cette rue, c’était dans l’espoir de le voir et de le reconnaître parmi les signes. Tous le connaissaient mais personne ne l’avait encore jamais vu. Certains hommes prenaient parfois leur courage à deux mains et frappaient aux portes du passé. Ils rencontraient à ces occasions ces hommes et ces femmes venus d’un autre pays, parlant une autre langue. Eux non plus ne l’avaient vu mais eux aussi l’attendaient. C’était pour cela qu’ils s’étaient installés dans l’ancienne rue aux étranges colonnes. Elle avait été choisie par les anciens, elle serait choisie par le nouveau.