687 - Sur l’évolution des structures théoriques en sciences

N. Lygeros

Au sein des sciences et ce même parmi les plus dures, nous pouvons toujours dégager le schéma mental de l’évolution des structures théoriques. Une théorie, une fois mise en place dans un cadre conceptuel tend vers un dogmatisme naturel qui consiste en la croyance que cette théorie peut tout expliquer. Cela provient simplement de l’inexistence au moins temporaire de contre-exemples flagrants. Cependant si la théorie correspond au critère de Karl Popper, elle doit être falsifiable. Aussi inexorablement, nous voyons l’émergence de contre-exemples. Dans un premier temps, ces derniers sont toujours considérés comme des exceptions si rares qu’elles ne peuvent remettre en cause l’édifice théorique. Aussi pour employer un terme usité dans un autre cadre, ces contre-exemples sont considérés comme des hérétiques par le dogmatisme régnant. Ce n’est que lorsque ces contre-exemples se répètent fréquemment et dans diverses situations qu’ils sont jugés comme dérangeants. Dans ce cas, une première tentative est effectuée pour les regrouper afin de les circonstancier. Si cela est possible, nous considérons alors un nouveau domaine de définition de la théorie dans lequel est exclu le regroupement des contre-exemples. Si ce n’est pas possible alors l’édifice théorique traverse une situation de crise à partir de laquelle tout est possible théoriquement. Ainsi la théorie peut être généralisée pour absorber les contre-exemples critiques ou alors elle s’effondre et elle n’est considérée que comme un cas dégénéré d’une théorie à découvrir. Ceci peut être au profit d’une nouvelle théorie ou plus simplement d’une nouvelle interprétation de la théorie. Le cas le plus long est celui qui est dû à l’absence d’une autre théorie capable de recouvrir les acquis théoriques de l’édifice considéré. Ainsi nous pouvons avoir deux théories valables uniquement dans des cadres non unifiables conceptuellement. Elles demeurent concurrentes quant à l’éxégèse des phénomènes et s’opposent sur des situations critiques où elles ne peuvent être départagées. Cette situation peut perdurer si de nouvelles idées théoriques ne sont pas introduites soit pour englober les théories existantes soit pour les supplanter définitivement. Seulement comme l’a fait remarquer Albert Einstein l’expérience ne peut tracer la voie théorique. C’est la théorie qui dicte l’expérience et non le contraire. Aussi même si nous suivons l’analyse de Thomas Kuhn quant à la révolution théorique, nous ne pouvons prédire l’apparition d’une nouvelle théorie. Cette dernière est intimement liée à la créativité des chercheurs qui dépend de nombreux paramètres hors scientifiques. Bien souvent ils ne sont d’ailleurs pas exclusivement cognitifs comme nous pourrions le penser mais sociaux. Car la société a son mot à dire quant à l’acceptation d’une théorie révolutionnaire. Même si elle ne peut la concevoir de son propre chef, elle peut exclure le savant qui l’a conçue, en particulier si ce dernier est considéré comme un génie. Ainsi nous retrouvons le modèle de l’impact cognitif décrit dans M-classification puisque le génie universel c’est celui qui produit un impact sur l’humanité. A travers la société, l’humanité peut être vue comme un système d’inertie qui n’avance pas de manière linéaire. Aussi le cycle de la révolution doit correspondre à celui de l’évolution. Certaines théories peuvent donc être considérées non comme des achèvements conceptuels mais comme des positions d’attente de théories véritablement révolutionnaires dans un cadre qui dépasse celui des sciences.