659 - Du bonzaï technologique au baobab polémologique

N. Lygeros

En matière de stratégie, il n’est pas étonnant de découvrir des schémas mentaux qui s’appliquent à des domaines qui sont en apparence différents. Ainsi via la technologie et la polémologie, nous pouvons mettre en évidence la notion d’arbre, si chère à la théorie des graphes. Le même schéma mental à travers ses caractéristiques topologiques engendre un spectre d’idées convergentes. Le concept du bonzaï technologique illustre une idée japonaise selon laquelle l’entreprise qui utilise la technologie comme avantage concurrentiel possède des technologies fondamentales parfaitement maîtrisées qui lui offrent un potentiel fabuleux de développement. Par analogie nous introduisons le concept de baobab polémologique qui illustre l’idée selon laquelle le pays qui utilise la guerre comme avantage militaire possède des techniques fondamentales parfaitement maîtrisées, qui lui offrent un potentiel fabuleux de développement.

Dans cette optique, il n’est plus question de savoir quelle technologie ou quelle technique utiliser pour produire tel bien ou tel mal, mais plutôt quel produit ou quel conflit développer pour utiliser sa technologie ou sa technique. La technologie et la technique ne sont plus un moyen, mais une arme qui s’apparente ici aux compétences clefs qu’une entreprise ou un état cherchera à valoriser dans n’importe quel secteur à partir du moment où une occasion se présentera. Ainsi dans les deux cas, nous sommes dans une situation d’attente dynamique et de prospective offensive.

Dans ce cadre, la technologie et la technique représentent la base du raisonnement de toute action et de toute réalisation. Elles constituent le corps de la pensée et c’est à partir d’elles que les directions évalueront leurs stratégies de développement et leurs stratégies de diversification. Elles sont le point de référence et elles priment sur toute autre variable de synergie car elles sont le potentiel technologique et technique obtenu grâce à la combinaison de technologies et de techniques génériques.

Aussi l’évolution naturelle de ce type de schéma mental, c’est la construction de l’avantage concurrentiel et la consolidation des positions stratégiques grâce à l’innovation, à la création de nouveaux produits et de nouvelles armes. La préconception permet l’opportunisme stratégique et même la création de structures préfabriquées qui servent de plates-formes de lancement. Toute la stratégie se fonde sur l’avance et sa conservation. Tout l’effort consiste à se placer dans un cadre positif qui est défendu par un dogme déclaré et affiché le plus ouvertement possible. Car les adversaires et les concurrents doivent savoir qu’ils se situent dans ce cadre, et que c’est uniquement au sein de celui-ci qu’ils doivent gérer l’affrontement en raison du caractère objectif et universel des conclusions.

Seulement la stratégie ne se développe pas dans un cadre intemporel, mais dans un contexte historique, localisé et daté. Aussi, il est nécessaire d’expliciter la théorie stratégique, la recherche fondamentale et les doctrines stratégiques, la recherche appliquée. Car plus la première sera rigoureuse et systématique, plus la seconde sera cohérente et solide. Par définition, le bonzaï et le baobab ont une durée de vie limitée, aussi il est vital de penser leur évolution. Les aspects discrets et souterrains des modèles indiquent très clairement la part d’invisible qui doit leur être associée pour augmenter leur efficacité dans un monde instable où seul le visible a de l’importance pour ceux qui ne peuvent accéder aux schémas mentaux.

La pensée latérale nécessaire dans ces deux schémas mentaux traverse de manière non uniforme les idées classiques sur le développement des entreprises et des états dans l’espace géostratégique. Elle vit hors cadre dans un champ non concurrentiel de principes de stratégie et sa puissance provient de l’exploitation de l’avance. Tout est pensé dans le futur et pour le futur. L’essentiel n’est pas le but mais le suivant.