653 - Une approche didactique du problème de l’ombre

N. Lygeros

Au cours des expériences que nous avons mentionnées dans nos articles intitulés Une approche didactique du problème du cavalier et Une approche didactique de la visualisation des trois dimensions, nous avons aussi traité le problème de l’ombre dans la représentation visuelle des enfants. Même si l’ombre est un élément naturel dans le quotidien des enfants, elle ne doit être considérée comme simple surtout lorsque son approche fait intervenir des problèmes à trois dimensions. Lorsque l’ombre est visualisée, elle est avant tout considérée comme une donnée géométrique et essentiellement à deux dimensions. Tandis que dans la réalité cognitive, l’ombre est dynamique et elle dépend de manière intrinsèque des trois dimensions. Car elle dépend non seulement de l’objet considéré mais aussi de la source de lumière et de la géométrie de la surface de projection.

Même si l’ombre est nécessairement une simplification de données à trois dimensions, sa définition n’est pas immédiate pour des enfants lorsqu’il s’agit de la représenter de manière réaliste. C’est alors que nous découvrons que l’enfant ne comprend pas nécessairement ce qu’il regarde et qu’il ne voit que ce qu’il comprend. Il sait ce que représente l’ombre mais il ne sait pas nécessairement la représenter. Dans un premier temps, il est relativement facile pour lui d’associer une ombre à un objet donné, cependant il a beaucoup plus de mal à dissocier les propriétés géométriques de l’objet et de l’ombre car il ne tient pas immédiatement compte de l’intervention de la source de lumière. Ainsi l’ombre pour l’enfant est pour ainsi dire une donnée locale qui n’a pas d’incidence globale. Alors que le principe de l’ombre rasante prouve le contraire.

Même si l’ombre s’attache facilement et naturellement à un objet, elle peut tout autant s’en détacher via l’impact de la source lumineuse. Et c’est ce phénomène que nous avons étudié avec les enfants en exploitant les propriétés d’un cube et d’une source de type soleil. Pour l’ensemble des enfants, une fois maitrisé le problème de la visualisation à trois dimensions, il est facile de comprendre que l’une des faces du cube était ombrée. Cependant dans ce cas, il est est clair que l’ombre est associée uniquement à l’objet visible sans tenir compte des répercussions sur l’ensemble de la représentation graphique. En effet, lorsque nous plaçons le cube sur une surface plane, les enfants ne savent pas gérer l’ombre projetée par le cube sur la surface. Souvent celle-ci est directement proportionelle au cube sans tenir aucunement compte de la source de lumière. Parfois, elle est engendrée par deux faces alors que dans les données initiales uniquement l’une des faces du cube était ombrée. De plus, la meilleure preuve de la dépendance de l’ombre par rapport à l’objet c’est la représentation d’ombres proportionelles à des cubes de différentes tailles alors que ceux-ci sont éclairés par une lumière rasante. Quant à l’explication du phénomène optique, il est évident qu’elle va à l’encontre de l’intuition physique de l’enfant.

Par contre, une fois que l’enfant parvient à transformer cette intuition basique, il peut alors évoluer de manière impressionnante dans la complexité des assemblages utilisant l’ombre et la lumière. Cette fois l’ombre devient un objet dynamique à part entière et peut-être utilisée comme support à des objets matériels comme dans la représentation des trois cubes. Les enfants gèrent son indépedance géométrique du moins tant que la représentation de celle-ci est relativement simple i.e. essentiellement linéaire et planaire.

Nous voyons à nouveau que par l’introduction d’une nouvelle approche, nous déformons la perception de l’enfant d’une notion commune afin de briser le cadre de la rigidité fonctionnelle et lui permettre via cette mise en lumière de l’ombre, d’accéder à des représentations réalistes. Car ce n’est qu’à travers le mental que nous comprenons la réalité.