435 - De l’absence médiologique comme liberté heuristique

N. Lygeros

Comme l’écrit Albert Einstein, les conditions extérieures qui sont posées pour le scientifique par les faits de l’expérience, ne lui permettent pas de se laisser trop restreindre dans la construction de son univers conceptuel pour l’adhésion à un système épistémologique. Par conséquent il doit appatraître à l’épistémologue systématique comme une sorte d’opportuniste sans scrupule. En réalité, cette remarque dépasse le cadre de l’épistémologie et ce, de très loin. Elle s’applique tout aussi bien aux sciences cognitives qu’au cadre plus extrême de la stratégie, poussée jusqu’à ces dernières limites, cette idée permet d’atteindre les frontières du raisonnement par analogie.
Pour l’expliciter, après s’être convaincu que l’on ne peut pas s’en convaincre, nous allons aborder le domaine de la théorie des jeux qui malgré son caractère extrêmement simpliste est un révélateur des difficultés d’appréhension.

Dans un article précédent nous avons montré comment démontrer le caractère non ludique d’un jeu en exhibant une stratégie gagnante pour le premier joueur sur un exemple spécifique. Cependant, la situation est souvent bien plus complexe car même sur des exemples relativement simples, il n’est pas évident de traiter complètement le caractère ludique. Ceci est le cas même pour des jeux formels à seulement deux joueurs comme nous allons le voir dans l’exemple suivant qui est au demeurant un classique.

Chaque joueur a une seule couleur et elles sont différentes. Ils conviennent initialement du choix d’une figure. Ils disposent d’un ensemble de $n$ points dans le plan et ils doivent tracer des arètes à tour de rôle. Le premier joueur à obtenir une figure monochrome est déclaré gagnant. Dans ce cadre, il est déjà difficile de répondre simplement à la question suivante. La partie peut-elle être nulle ?

Grâce au théorème de Ramsey, nous savons que pour un $n$ assez grand, il n’existe pas de partie nulle. En effet, la figure étant nécéssairement un sous-graphe d’un graphe complet qui a le même nombre de sommets et que celui-ci via le théorème de Ramsey existe et est monochromatique quelque soit le coloriage des arètes d’un graphe complet suffisamment grand. Aussi nous en déduisons qu’il existe une stratégie gagnante, grâce au théorème de von Neumann qui s’applique aux jeux binaires sans partie nulle.

Il est élémentaire de voir de manière non-constructive que c’est le premier joueur qui gagne toujours. En effet, si le second joueur disposait d’une stratégie gagnante i.e. sa suite de coups indépendamment de celle du premier lui donne la victoire, alors il suffirait au premier joueur d’appliquer cette stratégie en simulant le premier coup du second joueur. Ceci n’est évidemment valable pour un jeu constructif, sinon il suffirait de considérer sa négation pour obtenir un contre-exemple i.e. un cas où le second joueur disposerait d’une stratégie gagnante.

Pour le moment, nous n’avons réglé que le cas où la taille du graphe initial est suffisamment grande pour contenir un sous-graphe monochromatique. Cependant, qu’en est-il si nous ne pouvons appliquer le théorème de Ramsey au graphe considéré ? Cette fois nous sommes obligé de regarder de plus près les coloriages possibles. Car dans l’application du théorème de Ramsey tous les coloriages sont considérés. Alors que dans notre jeu le premier joueur ne peut en colorier que la moitié. Aussi, il est encore possible d’exhiber des stratégies gagnantes pour des valeurs inférieures à la borne considérée. Cependant comment la choisir ?

C’est ici que nous retrouvons l’idée d’Albert Einstein. Car le cadre ramseyen fournit un modèle systématique dont nous avons la preuve qu’il est effectif dans la plupart des cas. Pourtant comment garantir que cette méthode demeure valide pour toutes les valeurs de $n$ ? En réalité nous ne le pouvons pas car il existe des cas de parties nulles.

Il ne faudrait pas pour autant se tromper sur l’enseignement de cet exemple puisque lui-même n’est qu’une méthode parmi d’autres pour approcher le problème du choix stratégique. De plus, il ne représente en aucun cas une situation générique. En réalité, son unique but c’est de montrer que tout est possible dans le domaine méthodologique. Une autre sous-jacente c’est la validité d’une méthode. Si cette dernière est simple et si elle a un grand domaine de validité, ce n’est pas pour autant qu’elle reste valable sur l’ensemble du problème. Par exemple, la plupart des problèmes en physique classique peuvent être résolus à l’aide d’outils newtoniens. Ceux-ci peuvent être améliorer localement via la relativité restreinte. Cependant actuellement seule la relativité générale peut réellement traiter des cas relativistes extrèmes. Elle pourrait sembler utile que pour des cas spécifiques, pourtant la réalité est tout autre. Cette théorie englobe la précédente et son champ de validité est beaucoup plus étendu que celui des cas extrêmes. L’interêt de ces derniers réside dans le fait qu’ils révèlent une méthode plus puissante bien que plus complexe et singulière. Aussi le choix de la méthode n’est pas évident si l’on se restreint à une approche élémentaire. La recherche en profondeur est nécessaire et cette profondeur est difficilement prévisible par la seule donnée du problème.

Ainsi l’absence de méthode systématique est évidente. Cependant loin de considérer cette situation comme négative, nous devons l’interpréter comme l’expression de la nécessaire liberté de point de vue pour traiter un problème ouvert. Dans ce monde heuristique où tout est permis en raison de la diversité et de la complexité des problèmes, la seule manière de procéder c’est la liberté totale de méthode d’appréhension. Voir différement, c’est déjà une manière de comprendre.