387 - Lèvres sans sourire

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

  Un soir, dans une maison, autour d’une table, près d’une cheminée, des poignées de vie s’approchent de la mort.

Stelios

Qu’as-tu, Maria ?

  Tous regardent Maria.

Agamemnon

Tu as perdu ton sourire, Maria ?

Maria

Je n’ai pas appris à sourire… Un temps.

Rafaëlla

Mais pourtant tout le monde sait !

Georges

Tout le monde sait mais ne sait pas pourquoi !

Maria

Ma mère ne souriait jamais…

Stelios

Mais pourquoi ?

Maria

Elle savait seulement pleurer son père…

Agamemnon

Et comment a-t-elle pu vivre ?

Georges

Elle n’a pas pu… Silence.

Agamemnon

Pardon… Je ne voulais pas…

Maria

Désormais plus rien ne peut me blesser. Un temps. Pas même mes amis…

Andri

Ne dis pas cela, mon amour…

Georges

Le sourire n’est pas mort !

Kléanthis

Alors ?

Styliana

Il vit en nous ! Un temps. Ce sont nos lèvres qui ne le veulent pas !

Rafaëlla

Est-ce si difficile ?

Georges

Non ! Cependant notre bouche doit rester ouverte. Il n’y a que nous qui pouvons crier pour notre patrie.

Styliana

Nous sommes la bouche de notre terre.

Georges

Et les yeux du futur.

Stelios

Pourquoi nos lèvres ne souriraient-elles pas ?

Georges

Car ici seule la mort est libre.

Christos

Tous ceux qui considèrent qu’ils vivent libres sont déjà morts.

Maria

Nous vivons au milieu des morts et nous mourons pour les vivants.

Agamemnon

Comment vivrons-nous notre jeunesse ?

Georges

Nous n’avons plus de jeunesse à vivre. Un temps. Ils nous ont volé notre innocence.

Christos

C’est cela que nous sommes à présent : innocents sans innocence.

Styliana

Des lèvres sans sourire.

Rafaëlla

Toute notre vie n’est qu’une plainte.

Maria

Mais pas notre mort.

Styliana

Que veux-tu dire ?

Maria

La mort est notre sourire.

Agamemnon

Je ne veux pas que tu meures !

Maria

Mais c’est bien toi qui voulais que je sourie ?

Agamemnon

Non je ne le veux plus à présent… Un temps.

Théodore

Vivons libres !

Georges

Mais pour faire cela, certains doivent mourir.

Christos

Qui veux-tu faire mourir pour toi ?

Théodore

Personne !

Georges

Alors c’est à nous de le faire !

Styliana

Mais nous sommes insignifiants…

Christos

En elle-même la pierre est insignifiante.

Maria

Cependant réunies elles forment une église.

Georges

Pour l’instant nous sommes des icônes sans église.

Christos

Notre croix c’est notre sang.

Georges

Partageons-le alors. Un temps. Devenons des frères de sang. Un temps.

Maria

Je veux un couteau !

Andri

Moi aussi !

Georges

Quels que soient ceux qui tomberont au combat, ils vivront toujours en nous dans notre sang.

Andri

Maintenant j’ai compris pourquoi la Vierge Glycofiloussa ne sourit pas…

Maria

Dans le regard du Christ elle voit déjà sa crucifixion…

Andri

La blessure de la vie ne veut pas de sourire, seulement des baisers.

Georges

Le tendre baiser de la Vierge.

  Silence.