3382 - Une singularité dans les conseils de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Si nous devions résumer en une phrase l’ensemble des conseils de Leonardo da Vinci dans le domaine de la peinture, nous n’aurions guère le choix. En effet, ce dernier insiste tellement sur le rôle du maître de la nature dans son traité de la peinture qu’il est difficile pour ne pas dire impossible de s’éloigner de ce passage léonardien; surtout que ses critiques à l’égard des petits maîtres qui imitent les grands maîtres sont toujours virulentes et acerbes. Cependant ce serait commettre une grave erreur que de réduire toute la pensée picturale de Leonardo da Vinci à cela. En effet lorsqu’il s’agit de la manière de vêtir les figures, le maître de la Renaissance n’est plus aussi absolu et il donne même des conseils qui pourraient surprendre les détenteurs d’une approche simpliste et réductionniste de son oeuvre.

“Observe la convenance en habillant tes figures selon leur rang et leur âge; et que surtout les étoffes ne cachent pas le mouvement c’est-à-dire les membres, et que ces membres ne soient pas traversés par les plis ni par les ombres des draperies.”

Jusque là tout semble parfaitement cohérent avec le principe de base, pourtant le maître va dans un sens qui n’est pas tout à fait habituel comme le montre la suite de l’extrait de son manuscrit.

“et imite autant que possible les Grecs et Latins dans leur manière de montrer les membres quand le vent presse les draps contre eux. Et fais peu de plis, sauf pour les vieillards en toge et pleins d’autorité.”

Le conseil est on ne peut plus clair. Il tranche par sa singularité mais il a le mérite d’être explicite. Leonardo da Vinci utilise même le verbe imiter c’est dire quelle importance il donne à ce détail. Il est vrai que la technique du drapé est l’un des sommets non seulement de l’antiquité mais de la sculpture. Dans cet art de la suggestion où le fait de cacher met en valeur, les anciens étaient particulièrement efficaces. Leonardo da Vinci mentionne le vent en tant qu’élément indirect de l’effet mais nous avons aussi la technique du drapé mouillé. Il est d’ailleurs opportun d’indiquer que ce type de technique remonte à l’antiquité égyptienne même si les Grecs et les Latins ont élevé cette technique au rang d’art à leur époque. Dans tous les cas, Leonardo da Vinci est limpide. Il ne s’agit nullement d’une erreur mais bien d’une singularité qu’il faut saisir pour comprendre sa pensée. En effet même si au premier abord cela semble un contre-exemple au principe léonardien, nous ne devons pas le décontextualiser pour concevoir l’unité de sa pensée. Le drapé n’est pas véritablement un concept qui appartient à la nature. Il est le produit de la main humaine qui tisse. Aussi il n’est pas véritablement naturel même s’il est possible de voir le plissé dans des structures géologiques. Dans ce cadre, le maître s’interroge sur la nature de la Nature et il est en droit d’aboutir au fait qu’il s’agit de l’antiquité. Dans le domaine particulier de l’habillement, il en revient à l’exemple antique. Certes il est conscient de l’importance de la conservation des volumes malgré le recouvrement par des surfaces complexes. Néanmoins son analyse de la technique antique lui permet d’affirmer qu’il s’agit bien d’un exemple à suivre. Ainsi le maître suit le même principe mais il faut pour cela redéfinir ce qu’il entend par nature. Même si cela peut sembler quelque peu artificiel dans le monde de la peinture, ce schéma mental se retrouve dans les travaux de mécanique de Leonardo da Vinci qui n’hésite pas à emprunter, à imiter et à concevoir à partir de l’exemple de ses prédécesseurs car là aussi il est nécessaire de redéfinir la nature puisque ces objets ne sont pas naturels. Le maître incorpore donc dans l’oeuvre de la nature ce qui est artificiel et provient de l’oeuvre de l’homme.