2868 - Frictions géostratégiques

N. Lygeros

Même si l’aphorisme de Napoléon à savoir « la politique des Etats est dans leur géographie » a le mérite d’être clair, il n’en demeure pas moins que la géographie ne suffit pas pour comprendre directement les choix politiques d’un Etat. Il est nécessaire d’avoir une approche géostratégique pour saisir certains des éléments de la géopolitique. Au sein de l’Union Européenne nous observons des frictions, au sens de Clausewitz, de la machine géostratégique. Ce que nous voulons mettre en évidence, c’est le rôle des géostratégies nationales. Il existe au moins deux grands courants de pensée dans ce domaine. L’un pourra être qualifiée de continental et l’autre d’outre-atlantique. Ces visions ne sont pas des abductions de pensées géostratégiques nationales. Elles ne sont, pour une grande part, qu’une extension déductive des approches françaises et anglaises.

Commençons notre analyse par la plus simple à savoir celle de la Grande-Bretagne et de son empire ultra-marin. Comme la Grande-Bretagne a très rapidement obtenu l’unification de ses composantes, elle s’est naturellement placée dans un cadre insulaire et a opté pour une stratégie maritime. Cette vision n’explique pas seulement son comportement envers l’Irlande mais surtout son jeu doublement coopératif avec les Etats-Unis. Recherchant son intégrité insulaire, elle n’effectue que des contacts peu profonds en termes de géographie continentale. Le positionnement de la France est plus complexe car bien qu’elle soit une puissance essentiellement continentale, ses façades maritimes et ses intérêts outre-mer l’ont toujours amenée à composer actions et réactions sur terre et sur mer. Elle s’est naturellement renforcée sur le plan continental car elle n’avait pas de vis-à-vis dans l’océan Atlantique et en raison de la perte de son empire colonial en Méditerranée du Sud. Sa vision continentale en accord avec celle de l’Allemagne s’est organisée sur l’Europe occidentale via l’évolution de l’Union Européenne à partir du Traité de Rome en 1957. Aussi ces deux visions géostratégiques engendrent naturellement des frictions au sein de l’hyperstructure que représente l’Union Européenne. Or cette dernière doit nécessairement unifier ses forces via le rapprochement stratégique de ses composantes afin d’avoir une pensée géostratégique européenne. Seulement ces vestiges ont la vie dure et doivent être intégrés dans une stratégie d’ensemble et dans un cadre coopératif qui ne s’appuie pas uniquement sur un équilibre de Nash mais aussi sur une solution de Parreto plus efficace et plus dynamique. Il est nécessaire pour comprendre cette vision de recontextualiser ces approches dans le cadre des deux guerres mondiales. En effet la Grande-Bretagne avait transgressé sa règle d’or et remis en cause son insularité. Quant à la France elle a été mise à rude épreuve à cause de l’effondrement de son système de coalition et de défense. Il nous faut donc faire la synthèse diachronique de ces approches mais aussi de celles des pays de l’Est afin de repenser une géostratégie dans un cadre radicalement différent en s’appuyant sur des notions de topologie comme la compacité et la connexité mais aussi de théorie des graphes comme la robustesse.