282 - Procédé scaldique associatif généralisé et méta-structure sémantique cognitive

N. Lygeros

Dans notre article intitulé : la poésie scaldique ou la construction islandaise d’un schéma mental nous avons étudié l’apparition d’un schéma mental à partir d’une obstruction initiale. Plus précisément, nous avons analysé comment l’interdiction de mentionner un objet ou une personne avait engendré un schéma mental associatif via le procédé de vocabulaire de la poésie scaldique. Dans le présent article, nous généraliserons ce procédé afin de mettre en évidence sa capacité à révéler une méta-stucture sémantique.

Nous rappelons tout d’abord que les kennigar sont construits sous la forme suivante : le a … du b…, le c… du d…, le e… du f… etc. et que a-b, c-d, e-f,… constituent les couples associatifs qui désignent un terme et que leur ensemble désigne à son tour un mot. Nous observons donc une stucture relativement simple dans le sens où elle n’est constituée que d’une seule couche associative à savoir que l’association n’est utilisée qu’une seule fois pour caractériser un terme. Cependant, si nous considérons cette structure comme le premier degré d’une construction, il est possible d’en imaginer une autre créée sur elle de manière récursive.

En effet, si nous désignons par couche de degré 0, l’ensemble des mots de la configuration initiale via le procédé de vocabulaire du mètre scaldique nous créons la couche de degré 1 qui représente l’ensemble des associations. Désormais, en réitérant ce processus, nous pouvons créer de nouvelles couches dont chacune est constituée des associations produites par la précédente. Néanmoins, l’ensemble ainsi créé n’est pas seulement une superposition de couches. Il possède une autre propriété que celle de sa constitution à savoir la récurence, car en étant lié à la notion d’association, il devient créatif. De plus la structure initiale du mètre scaldique peut être enrichie à la base. En effet le procédé de vocabulaire classique ne considère que deux par deux les termes i.e. l’association est restreinte au vers. Tandis que l’enrichissement que nous proposons considère tous les termes consécutifs. Ainsi les associations ont lieu aussi bien dans le vers seul que sur deux vers via l’enjambement.

Considérons, à présent, un exemple générique qui nous est propre. Son schéma compact est : la mémoire de l’intelligence de l’histoire du temps. Son schéma scaldique a la forme suivante :

La mémoire de l’intelligence
de l’histoire du temps.

Les liens associatifs sont donc : Mémoire-Intelligence, Intelligence-Histoire, Histoire-Temps. Ces liens n’étant pas immédiats en soi nous les avons explicité au sein de trois articles. Le premier intitulé : Structure, relations et singularités, met en évidence que la mémoire est un morceau d’humanité dans l’intelligence humaine. Le second, Sur le mythe ou l’intelligence de l’histoire, explique que l’information essentielle de l’histoire, en d’autres termes son intelligence est contenue dans le mythe. Enfin le troisième article : Analyse du prossesus de mythification révèle le lien étroit qui existe entre l’histoire et le temps à travers l’oubli. Ainsi à partir de la couche de degré 0 (Mémoire, Intelligence, Histoire, Temps), nous avons créé celle de degré 1 à savoir : Humanité, Mythe, Oubli. Sans chercher à donner un sens direct à l’expression : l’humanité du mythe de l’oubli, nous l’interprétons comme un nouveau mètre. Les nouveaux liens sont donc : Humanité-Mythe, Mythe-Oubli. Avant de leur appliquer le processus associatif, notons que celui-ci n’est pas nécessairement convergent comme dans les associations classiques mais aussi circulaire comme dans le premier cas du degré 0. De plus, un autre degré de liberté est celui de la polysémie. Soucieux de l’exploiter nous utiliserons le mot humanité dans un second sens. De cette manière l’association devient alors plus compréhensible sinon naturelle. Ainsi l’humanité du mythe, c’est l’éthique. Cette association représente la transposition de la morale de l’histoire dans la fable. Par contre l’interprétation de l’association engendrée par le liens suivant : Mythe-Oubli nécessite une explication. Car quel sens donner au mythe de l’oubli ? Tout d’abord, il nous faut mentionner le contexte dans lequel nous pensons l’oubli qui n’est pas celui de l’effacement de l’histoire mais de sa déformation. Les faits sont dénaturés par la désinformation partielle et l’action de la mémoire orale est essentielle. Car seuls les vestiges oraux permettent de rompre le silence des écritures oubliées, les traces écrites de la civilisation.

Dans ce cadre, l’écriture représente la trace la plus tangible de l’oubli qui n’est pas la disparition totale. Elle constitue un indice au sens morélien du terme; elle est la preuve de l’oubli d’une entité. Ainsi le mythe de l’oubli, c’est l’écriture. Nous nous retrouvons donc avec l’expression : l’éthique de l’écriture. Cette nouvelle couche de la stucture traduit un degré d’abstraction supérieur. Elle est ancrée plus profondément dans celle-ci. Elle est constituée de deux universaux : l’éthique qui transcende les religions, et l’écriture qui transcende les civilisations. La combinaison des deux en termes associatifs est nécessairement un élément diachronique, une entité capable de pénétrer les religions et traverser les civilisations, un réseau neuronal dont la cognition est une herméneutique exégétique : un caméléon au sens de la légende. Le caméléon est donc la mémoire de l’intelligence de l’histoire du temps, l’humanité du mythe de l’oubli et l’ethique de l’écriture.

En exploitant les propriétés associatives du procédés de vocabulaire du mètre scaldique et en le généralisant via un processus récursif, nous avons montré la possibilité de révéler une structure cognitive profonde codée de manière compacte dans un mot. Ainsi ce procédé scaldique associatif généralisé est un révélateur i.e. un décompilateur du code de la méta-structure sémantique cognitive associée à la terminologie. Un mot n’est donc pas une simple définition. Un mot c’est un univers ramifié !

Mémoire – Intelligence – Histoire – Temps
Humanité – Mythe – Oubli
Ethique – Ecriture
Caméléon