2796 - La double fonction de la frontière

N. Lygeros

Une frontière n’est pas seulement une ligne. C’est un espace dynamique où s’opère un changement de phase dû à un effet de bord. C’est cette conception de la frontière qui permet d’appréhender de manière efficace sa double fonction à savoir l’isolement et l’interface. La première gère la distinction identitaire tandis que la seconde contrôle l’échange. Cette double fonction correspond à des propriétés mathématiques que nous retrouvons dans la théorie des systèmes dynamiques et la théorie de la percolation. La frontière a aussi la propriété de porosité qui peut inclure la notion d’hermétique jusqu’à celle d’ouverture et entre ces deux extrêmes toute une gradation de possibilités. Ces deux théories montrent de plus qu’il est inadéquat de considérer une frontière comme une entité statique. Au contraire la frontière peut être en mouvement et c’est même sa nature si nous l’examinons dans le cadre de l’histoire longue. Celle des empires est caricaturale à ce niveau puisqu’elle se déplace extrêmement vite même dans un cadre relativement synchronique. Il faut dire que la notion de frontière permet non seulement de conceptualiser mais aussi de réaliser la nature des prétentions et des revendications territoriales. De la même manière, la notion de frontière peut aisément supporter des conceptions offensives et défensives. La première ne doit pas inévitablement être interprétée comme un mouvement d’expansion continu. Pour le constater il suffit d’étudier la théorie des frontières naturelles. Au sein de celle-ci opère la stratégie d’acquisition qui recherche des frontières stables. C’est ainsi que se met en place une idéologie des frontières qui a pour origine la Révolution Française. Cette idéologie est maîtresse dans l’art de la cartographie, qui permet de rendre compte de manière synthétique les projections et les acquisitions. Le champ de bataille devient champ visuel pour aboutir à la vision stratégique. La seconde conception, à savoir la défensive, correspond à une volonté de créer un espace sécurisé. Le niveau d’herméticité est isomorphe à la représentation mentale de la menace. Cette notion peut être visualisée par les exemples suivants : la Grande Muraille de Chine, le limes romain, la ligne Maginot ou encore le rideau de fer et le mur de Berlin. Cela ne signifie pas pour autant que cette conception corresponde à une stratégie défensive. Au contraire une stratégie offensive peut rechercher une frontière défensive dans le sens où elle désire minimiser le coût de la défense avec une meilleure position. Elle met aussi en évidence le fait que des frontières stables proviennent aussi de voisins stables. Si un pays se sent à l’abri des invasions, c’est bien souvent en raison du fait qu’il partage avec ses voisins une notion d’équilibre. Ne pas tenir compte de cette donnée revient à donner un rôle contaminant à la sécurité des frontières, sans réaliser que cela signifie l’effondrement de ce schéma mental. La frontière qui est une relation binaire par excellence supporte mal les processus transitifs en raison de l’implication de schémas stratégiques plus complexes.