2592 - De la confusion stratégique au génocide de la famine

N. Lygeros

Le Holodomor n’est pas un acte de barbarie de circonstance. Il est basé sur l’exploitation d’un schéma mental universel à savoir le principe de polarisation. Le stalinisme a utilisé un substrat cognitif soviétique pour transformer les victimes en personnes à éliminer. La polarisation s’est effectuée à partir de la notion de koulak. Au début de la révolution soviétique, ce mot avait un sens très précis essentiellement basé sur la propriété. Un koulak était via cette définition un ennemi de la révolution. Pour cette raison il devait être éliminé. Les soviétiques avaient donc l’habitude de considérer les koulaks comme des contre-révolutionnaires. Cette identification s’explique donc par l’esprit révolutionnaire. Et comme celle-ci était sortie victorieuse, elle offrait une belle occasion pour l’appareil de propagande staliniste. La polarisation s’est effectuée en mettant en place une confusion stratégique. Cette fois les koulaks n’étaient plus simplement des ennemis politiques mais un peuple tout entier. Dans le dogme stalinien, le koulak était avant tout un Ukrainien et dans son application, l’Ukrainien est devenu un koulak. Cette transition s’est effectuée graduellement car elle n’était fondée ni sur un argument politique ni sur un argument économique. Le peuple ukrainien n’était pas un ennemi dans son ensemble et il ne représentait pas plus une bourgeoisie particulière. Pourtant la polarisation de Staline a réussi la double identification, à savoir koulak = ukrainien = bourgeois. Cette manière polysémique de traiter la notion de koulak permet d’augmenter considérablement la plateforme offensive. Grâce à cette transformation subversive, le peuple ukrainien est devenu l’ennemi principal de toute la révolution soviétique et non seulement du stalinisme. Nous avons donc la mise en place d’une notion que nous pourrions qualifier de syncrétisme formel puisque nous avons l’identification formelle d’entités a priori non comparables. Ainsi la confusion stratégique a engendré une fusion tactique. Ce moyen n’était pas seulement capable de polariser et de mettre en évidence une cible unique mais aussi d’unifier l’ensemble de la population soviétique. En reconnaissant les mêmes schémas de l’ennemi initial, le peuple soviétique a été emporté par la vague stalinienne et sa masse critique s’est transformée en énergie capable de commettre un crime contre l’humanité et même un génocide.

Il est nécessaire de comprendre cette exploitation de cette confusion stratégique pour concentrer les efforts des défenseurs des droits de l’homme sur le stalinisme. Attaquer globalement le communisme via la confirmation des parutions de Lénine et de Staline est une erreur stratégique. Car cela revient à utiliser à nouveau la confusion stratégique mise en place par Staline pour éliminer le peuple ukrainien. Pour lutter efficacement il est nécessaire de lutter contre le véritable ennemi à l’instar de ce qui est fait dans le cadre du génocide des Arméniens.