259 - Le mythe et le temps

N. Lygeros

La question qui est à l’origine de l’écriture de cet article est la suivante : quel est le temps nécessaire à la création d’un mythe ? Sans volonté de notre part d’y répondre explicitement, nous tenterons de montrer qu’elle constitue un fondement pour l’ontologie du mythe.Le point clef de cette problématique est la dimension temporelle du mythe. Par celle-ci, nous entendons uniquement la durée du mythe et non le temps de sa gestation, en considérant qu’il est théoriquement possible d’effectuer cette séparation au moins dans un premier temps. Cette dimension temporelle représente sinon le point le plus important du moins un élément essentiel à la caractérisation de la puissance du mythe. Un mythe est considéré comme puissant seulement s’il dure dans le temps. Le mythe est à la mesure du temps, il prend son essor avec lui comme s’il s’en nourrissait.Un autre point essentiel dans la constitution d’un mythe est l’oubli. Il est certes paradoxal de mettre en évidence cette composante dans un processus basé sur la mémoire cependant il s’agit d’une nécessité. En effet, il semble que la disparition des témoins des évènements à l’origine d’un mythe doit être effective pour permettre la diffusion du mythe. Car celle-ci se base sur la méconnaissance de son origine par les diffuseurs. Leur récit, par son caractère structurant agit sur les éléments originels du mythe de manière décisive. Comme si une trop grande connaissance des détails ne permettait d’idéaliser les évènements et interdisait le développement du processus de mythification.Une conséquence de la remarque précédente est que le mythe acquiert nécessairement une dimension anachronique. Le mythe ne peut véritablement exister de manière contemporaine. Il a besoin de se nourrir d’évènements désormais dépassés et en partie oubliés. Il appartient donc naturellement à un autre temps, ce qui lui confère des attributions axiologiques différentes. Les valeurs sur lesquelles repose le mythe ne correspondent plus à celles de la réalité présente. Il se construit du moins en partie sur une nostalgie du passé qui est due aussi aux choix sociaux du présent.Nous voyons ainsi que le temps joue un rôle prépondérant dans la formation du mythe : il est essentiel à son ontologie mais aussi à sa genèse. Car cette dimension temporelle qui l’éloigne nécessairement du présent, interdit à ses contemporains le rôle d’acteurs et de juges. Ils reçoivent du passé un mythe qui semble indépendant de leurs existences alors que celui-ci pour se développer se nourrira de celles-ci. A posteriori, les meilleurs agents de diffusion du mythe ne sont pas ses créateurs et acteurs mais ses spectateurs. Ce sont ces derniers qui sont responsables, sans en être tout à fait conscients, de l’ampleur du mythe.Ainsi ce phénomène de la mémoire est paradoxalement construit sur l’oubli des évènements, sur l’anachronisme de l’axiologie et sur la déformation informationnelle. Le mythe que nous pouvons considérer comme l’intelligence de l’histoire et donc la transcription de la réalité survit à travers le temps au sein d’une augmentation de l’entropie à l’instar d’un attracteur étrange.