254 - Analyse du processus de mythification

N. Lygeros

Dans un précédent article sur le mythe ou l’intelligence de l’histoire, nous avions mis en évidence que celui-ci constituait de manière paradoxale l’essentiel de l’histoire. Dans cet ordre d’idées, l’histoire qui se veut une transcription objective de la réalité passée, est effectivement interprétée comme telle et le mythe est alors l’interprétation subjective de celle-ci. Il existe donc entre eux la même relation que celle qui est associée à la réalité et à son modèle. Et par abduction créative, nous pouvons affirmer que le mythe est le modèle mathématique de la réalité physique que représente l’histoire. Aussi, en adoptant la position d’Heisenberg à cette situation, il est alors clair que seul le mythe a le statut d’observable théorique.Comme tout modèle, le mythe obéit à des règles structurelles internes. Et c’est la cohérence de celles-ci qui engendre la consistance du mythe. Cependant sa diffusion ne dépend que partiellement de cette structure. En effet dans ce processus interviennent des règles de type sociologique et psychologique qui dépendent du milieu de diffusion. Un même mythe ne pourra se diffuser de la même manière dans deux sociétés fondamentalement différentes. Si néanmoins c’est le cas et que la diffusion ne dépend pas du paramètre social, le mythe sera alors qualifié d’universel. Ainsi, le paradigme cosmogonique constitue l’archétype des mythes universels.En considérant le mythe comme une structure qui diffuse dans un milieu, il est alors naturel d’étudier son émergence à partir du processus de création à savoir la mythification. Et l’un des éléments de base de ce processus est le substrat qui par nécessité est d’ordre évènementiel sans nécessairement être réduit à ce caractère. Si un évènement est capable de produire un mythe, est-il caractéristique pour autant ? Plus précisément, l’apparition du mythe ultérieur dépend-elle directement de l’évènement ou de son emplacement spatio-temporel ? Si nous posons cette question ce n’est pas dans l’intention d’y répondre mais pour mettre en évidence l’existence de ces deux catégories : les singularités et les avalanches. La première est universelle et la seconde circonstancielle. Les singularités engendrent les mythes universels et les avalanches, les autres, et en ce sens elles ont un spectre plus large.La mythification lorsqu’elle est générée à partir d’un évènement qui appartient à la catégorie des avalanches, ne dépend pas directement de la nature de celui-ci mais de sa présence au sein d’un complexe générateur. Ce dernier est générique, puisque tout évènement (en particulier, même mineur) suffit à sa transformation qui est une sorte d’atteinte d’une masse critique. Une théorisation possible de ceci est la codification axiomatique de cette catégorie. Chaque évènement de base est un axiome qui n’a aucune incidence en soi mais l’assemblage de ceux-ci engendre une théorie consistante.Ce cadre conceptuel fournit ainsi une explication cognitive du processus de mythification. La méconnaissance de l’ensemble des implications d’un axiome et des théories qu’il est capable d’engendrer, une fois systématisé dans un ensemble d’axiomes, génère un phénomène au premier abord secondaire. En réalité celui-ci est décisif dans le processus de mythification. A chaque axiome est associé un ensemble abstrait qui représente ses implications potentielles. Cet ensemble n’est visible que partiellement par tout observateur local. Cependant la réunion de ces ensembles abstraits forme un groupe dont l’un des éléments est le mythe. Alors la capacité de celui-ci provient de sa généricité structurelle. Si cet élément est neutre, il ne permet pas l’apparition d’un mythe viable. Par contre, si c’est un générateur, le mythe se construit et commence sa diffusion dans le milieu considéré. Ainsi la mythification provient donc de la liberté théorique qu’offre l’incomplétude axiomatique et le mythe est une conséquence holistique. Nul ne l’a construit, tous l’ont créé.