2271 - Du refus du statique à la recherche de l’universel

N. Lygeros

Un des thèmes les plus récurrents dans l’œuvre de Leonardo da Vinci c’est le refus du statique. Et l’une de ses critiques les plus dures concernent ce thème et s’adresse à l’encontre des portraitistes. L’intérêt pour les études léonardiennes c’est que cette critique permet de mettre en place un lien entre le refus du statique et la recherche de l’universel qui est le principe fondamental de toute l’œuvre de Leonardo da Vinci.

« J’ai toujours constaté, chez tous les portraitistes, que celui qui réussit le mieux la ressemblance est plus mauvais peintre d’istorie qu’aucun autre artiste […] »

Conscient du paradoxe oratoire qu’il crée de cette manière, Leonardo da Vinci précise sa pensée de la manière suivante qui critique la spécialisation.

« […] et cela vient de ce que celui qui fait le mieux une chose est assuré que la nature l’a disposé à celle-là plutôt qu’à une autre ; »

Ici nous reconnaissons le fait que le talent peut finalement être un obstacle au développement effectif et efficace de la pensée universelle s’il n’est pas gêné avec soin et art.

« […] c’est pourquoi il la préfère, et le plus grand amour le rend plus diligent et tout l’amour qu’il a concentré sur une partie manque à l’ensemble, car il a fait de cette chose seule son plaisir unique, laissant l’universel pour le particulier. »

La trop grande spécialisation a des répercussions cognitives qui vont à l’encontre de la largesse du spectre des connaissances. Ainsi la monomanie finit par conduire l’individu à un équilibre statique qui représente le meilleur résultat possible dans son domaine et explique du même coup tout autre développement. Aussi dans ce cadre, la recherche de l’universel devient non seulement utopique mais impossible.

« Comme toute la puissance de cet esprit s’est confiné dans un domaine étroit, il est faible quand il lui faudrait de l’ampleur et il ressemble au miroir concave qui s’empare des rayons du soleil : plus une quantité de rayons réfléchis est dispensée, plus leur chaleur sera tempérée, mais quand ils sont tous réfléchis en un espace étroit, ces rayons s’élèvent à une forte chaleur en raison de petit espace où ils agissent. »

La comparaison est d’autant plus fondée que Leonardo da Vinci connaît parfaitement les miroirs concaves puisqu’il a même inventé une machine pour les polir. Il a donc eu l’occasion de tester la pertinence de l‘analogie et elle ne peut être considérée comme un simple effet de manche. Seulement sa critique va plus loin encore comme le montre la suite du texte.

« Ainsi font ces peintres qui n’aiment d’autre domaine de la peinture que le visage humain. Et ce qui est pire, ils ne savent estimer et apprécier aucun autre aspect de l’art ; comme leurs ouvrages sont inanimés, parce qu’eux-mêmes sont paresseux et inertes, ils critiquent les œuvres plus mouvementées et plus libres que les leurs, et disent que ces personnages semblent des possédés et maîtres de danses moresques. »

La spécialisation dans le portrait statique engendre un conservatisme qui va à l’encontre du mouvement qui est pourtant la caractéristique du vivant. Si Leonardo da Vinci refuse si ouvertement la statique c’est aussi parce qu’il est las de recevoir des critiques de l’inertie des portraitistes. Pour lui l’art n’est pas une photographie pour employer un anachronisme mais une narration évolutive dont le but est la recherche de l’universel.