2002 - Transcription de la lettre d’A. Carathéodory au sujet de la poste de Samos

N. Lygeros

Samos. Le 7/19 août 1885
 

Mon cher Chryssidhy Effendi
 Il y a quelque temps le Président du Conseil
d’Etat m’a écrit – que l’affaire des Postes
de Samos se trouvait portée devant la
Section de l’intérieur de ce même conseil.
– que le Ministère des Postes et Télégraphes
alléguait le dommage que le transport de
lettres non timbrées par les différents bateaux
à vapeur qui abondent à notre île causait
aux Postes Impériales, et en outre l’absence
de toute clause des firmans de Samos re-
lative au droit de Poste, pour demander
l’abolition de notre Poste locale, – et que
avant de discuter l’affaire il avait cru utile
conformément à l’avis de la Section, de
me demander sur ce point mon opinion personnelle


Cette opinion personnelle je la transmets
aujourd’hui par votre canal à S.E. et en
parcourant les deux documen[t]s ci-inclus
en Grec il vous sera facile de voir à quel
point de vue je me place. Je discute très
au long le prétendu dommage qui résul-
terait du transport de lettres non timbrées
par les bateaux à vapeur étrangers, et je
prouve que ce dommage n’existe pas, et que
tant même qu’il existerait il ne peut
être attribué qu’à l’employé de télégraphe
de Vathy que les Postes Impériales ont
voulu investir du caractère d’employé
postal et qui est le seul qui soit en relations
avec les bateaux de commerce qui accostent
à l’île. Passant ensuite à la question
de savoir si le service postal constitue
ou non un privilège accordé à Samos, je


décline d’entrer dans cette grave discussion
à l’occasion d’une phrase lancée au hasard
par S.E. le Directeur des Postes à titre
de simple argument et je finis par
soumettre à titre d’opinion personnelle
un plan d’arrangement en cinq articles.
Telle est l’économie générale de la réponse.
Permettez-moi d’entrer maintenant dans
quelques détails. Et d’abord, il me faut
signaler le procédé délicat de S.E. le
Président du Conseil qui avant d’entreprendre
la discussion a voulu connaître mon
opinion personnelle. Ce procéde délicat nous
le devons certainement à l’initiative
amicale de L.L.E.E. Memdouh Bey et
Yanko Effendi Ikiadès auxquels vous
voudrez bien présenter de ma part mes
compliments et mes remerciemen[t]s. En
vous acquittant de cette prière auprès de


ces deux bons amis, vous m’obligeriez
infiniment si vous aviez la bonté de leur
recommender l’affaire très particulière-
ment, et si vous vouliez encore leur
fournir quelques indications que j’ai
cru convenable de passer sous silence dans
mon rapport officiel. –
La tache du Directeur de nos Postes, est
réellement grandiose. Il s’y livre avec une
activité très louable et nous devons lui
souhaiter tout le succès possible. Mais au
moment même où il lutte avec tant de
vigueur contre les postes étrangères et les
bateaux étrangers, je ne conçois réellement
pas l’acharnement qu’il met à persécuter
cette prétendue pauvre petite poste de
Samos pour la rendre elle aussi tributaire
de ces mêmes étrangers. En quoi consiste
d’ailleurs la Poste de Samos en quatre


ou cinq courriers qui parcourent l’île et
distribuent les lettres et en un petit caïk
qui depuis cinquante ans quitte régulièrement
l’île chaque Jeudi matin pour transporter
nos lettres à Smyrne et nous rapporter
les lettres de là-bas le Dimanche matin
sans se mettre en relations avec personne.
Voilà la formidable concurrence que
Samos suscite aux Postes Ottomanes. Pour-
tant cela fait marcher le commerce qui a
surtout besoin de régularité, tandis que
dans toutes les autres îles environnantes
la question de l’envoi ou de la réception
d’une lettre est une affaire de chance, et
qu’il se passe des semaines parfois sans
qu’on puisse se mettre en relations avec
l’extérieur. Quant au service interna-
tional qu’Izzet Effendi a voulu organiser
par le moyen de l’Employé du bureau télé-
graphique de Vathy, en se mettant en


relations avec tous les bateaux étrangers
au nom de l’Union postale internationale
il ne m’appartient pas à moi d’en faire
la critique. Je constate seulement
que lui-même s’en plaint, qu’il ne retrouve
pas son compte et que le public commerçant
préfère le caïk traditionnel aux brillantes
perspectives de l’Union Postale internationale.
Pour remédier à ces inconvénien[t]s. Izzet
Effendi ne trouve pas de meilleur moyen
que de demander l’abolition de la Poste
Samienne, c-à-d. de nous nommer
lui les courriers et d’affecter lui
aussi le caïk au service des lettres.
Est-ce raisonnable ? Mais S.E. se place
sur le terrain de la légalité et allègue
que les firmans ne nous donnent pas le
droit d’avoir des postes. Je vous ai dit
mon cher Chryssidhy que dans mon


rapport officiel je n’ai pas voulu toucher
à ce sujet, car je pourrais être accusé ou
de ne pas prendre à cœur les intérêts de
la S. Porte ou de faire bon marché de ceux
des Samiens. Cependant comme il n’y a pas d’argu-
ment sur ce point qui n’ait été déjà
présenté par mes prédécesseurs, je ne
saurais vous dissimuler que c’est sur-
tout cette manière de s’exprimer du
Directeur des télégraphes et des Postes
qui exaspère les Samiens. Si tout ce qui
n’a pas été expressement dit doit être
considéré comme réservé, où allons-
nous se disent-ils. Samos a été érigée en
Principauté autonome tout est compris
là dedans et se basant sur cette idée ils
ont fait et font valoir une faute d’
arguments dont voici les principaux
1° le firman dit que tous les Employés
et fonctionnaires de l’île sans exception seront
nommés directement par le Prince.


De quel droit donc les employés des postes
seraient-ils nommés par le Directeur de
Constantinople.
2° Si le firman n’a pas parlé de postes
c’est qu’à cette époque il n’y avait pas de
postes dans l’Empire Ottoman. Cependant
la Principauté a mis en pratique son
prétendu système de Postes au vu et au
su du Gt Il [= Gouvernement Impérial] et qui plus est avec sa
protection. Ce système subsiste depuis
50 ans, et cette application pra-
tique constitue une interprétation tout en
faveur des Samiens.
3° Plus tard lorsque la Porte a renouvelé
les privilèges des Samiens sous Aristar-
ki Miltiade la seule réserve qu’elle
ait faite concerne l’organisation
sanitaire. – Donc à cette époque encore
elle n’avait pas cru que la poste Samienne
constituât une irrégularité. –


4° La Porte ne discute pas le droit de la Prin-
cipauté de Bulgarie à avoir des postes et
à conclure des conventions postales, pour-
quoi le contesterait-elle aux Samiens.
5° Pour la Roumélie Orientale qui n’est qu’
une province de l’Empire on a cru devoir
stipuler expressément qu’elle n’aurait
pas le droit de poste ; donc Samos vis-à-vis de
laquelle cette réserve n’a jamais été faite
même à l’époque d’Aristarki doit conser-
ver la sienne etc. –
Je ne vous signale pas ces arguments pour
que vous en fassiez usage, mais seulement
pour que vous en ayez connaissance.
Nous autres, nous savons bien que nous
n’avons à espérer que de la bonne volonté
de la Porte, aussi ce sur quoi, je me
fonde surtout ce sont les avantages que
l’arrangement que je propose assurera
à l’admon [= administration] Centrale – C’est un arrangement


c’est vrai, mais un arrangement qui met
le Poste Samienne à la disposition de l’
Admon [=Administraion] centrale, qui lui interdit à l’avenir
tout autre arrangement et par lequel
en réalité elle se fond dans la Poste Otto-
mane. Il y a là de quoi apaiser les
susceptibilités les plus délicates. Samos
n’aura pas de timbres postes à elle, elle n’
aura aucune relation avec aucune poste
étrangère, toutes ses lettres passeront par
les mains de nos employés ; nous nous
faisons les agents d’Izzet Effendi, avec
cette différence que pour sauvegarder
notre amour-propre, nous prions la
S. P. de nous le laisser dire nous-même.
Est-ce beaucoup ? Une fois cet arrangement
conclu il ne sera pas plus parlé de la
Poste de Samos que de celle des Pharaons.
Voilà surtout le côté que je vous prierai
de placer sous les yeux surtout d’Ikiadès


Effendi. Laissons la question de droit,
le fait est que Samos a l’exercice de sa
poste depuis cinquante ans. De quoi s’
agit-il aujourd’hui ? D’arranger l’
affaire. Or quel meilleur arrangement
que celui que je propose ? Et puis, mon
Dieu, une fois les postes Ottomanes organisées
convenablement, une fois une Compagnie
de bateaux à vapeur Ottomans desservant
régulièrement l’île pensez-vous qu’on
entendra plus parler de caîk et de
chose semblables ? Evidement que non !
Ce que je désire c’est que nos affaires
s’arrangent sans bruit. Que peut-il
sortir de bon d’une discussion sur
l’interprétation à donner aux privi-
lèges des Samiens ? Est-ce que ce qui se
dira ou se fera pour Samos aura la
moindre influence sur ce qui se passe


en Bulgarie ou en Roumélie-Orientale ?
Samos ne devrait pas figurer sur la liste
des questions mais bien des traditions
politiques que les grands Grs [=Gouvernements] se
font un point d’honneur de continuer.
Témoin la repubblica di San Marino.
Ne jetons pas notre poudre aux moineaux
et réservons-là pour des questions plus
sérieuses. –
    Causez-en donc très confidentiellement
avec Ikiadiès Effendi et rapportez-moi
vos impressions. Ici tout cela pourrait
faire une difficulté, et il est de l’
intérêt de tout le monde de se l’
éviter. –
                                   Bien à vous
                                   Al Carathéodory