1844 - La société et le cas Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Si nous voulons examiner le comportement de la société vis-à-vis du génie universel, le cas de Leonardo da Vinci est tout à fait exemplaire. Dans son ensemble en tant qu’homme et œuvre, il est essentiellement incompris ou inconnu. Dans le meilleur des cas, la société de l’époque lui reconnaît un talent mais ne le considère nullement comme un génie et encore moins comme un génie universel. Globalement, elle le juge comme non cultivé car il n’appartient pas au cercle des académiciens. S’agissant de cette époque, il est naturel de constater une difficulté dans le domaine de l’édition. Mais cela a pour conséquence vis-à-vis de Leonardo da Vinci que son œuvre est très peu lue. Aussi elle ne risquait pas d’influencer la société. Même si elle lui reconnaît des qualités en matière d’ingénierie, elle ne lui permet pas réellement de se développer dans ce domaine. Dans celui de la peinture, les commandes sont toujours ponctuelles. Il sera donc, toute sa vie, à la recherche d’un mécène pour lui assurer une stabilité minimale. Suite à un complot à l’encontre d’un membre de la famille de Laurent le Magnifique, il est traîné en justice et échappe de peu à une condamnation. Il vit isolé par la force des choses et non de sa propre volonté. Il n’y a de véritable changement dans sa vie que lorsqu’il arrive en France sur l’invitation de François Ier. Mais là encore son voyage est exemplaire. En effet, il n’est accompagné que de ses assistants qui sont au nombre de deux et il emporte avec lui ses tableaux les plus remarquables. Auparavant il avait été, à maintes reprises, critiqué pour sa manière de faire deux fresques à savoir la Vierge aux Rochers et la Cène. Il n’était ni admiré, ni adoré comme certains tenteraient de le faire croire. Il était considéré comme un artiste sur lequel le maître d’œuvre avait tout pouvoir. Sur sa qualité d’artiste, il suffit de considérer la véhémence de Michel Ange à son encontre pour se rendre compte qu’elle n’avait pas le statut de l’incontestable. Ses œuvres n’étaient pas considérées comme des chefs-d’œuvre car elles étaient toujours entachées par le sentiment d’incomplétude qu’elles provoqueraient auprès du public. Même son projet de statue équestre n’a pu aboutir en fin de compte malgré le modèle réalisé et son exposition publique car le bronze nécessaire à sa réalisation a été utilisé pour fabriquer des canons. Si nous voulions être précis, la liste de ces exemples de non reconnaissance de son génie, serait très longue et ne s’arrêterait certainement pas à la disparition de nombreux de ses écrits en raison de la dilapidation des successeurs et de l’absence d’intérêt de la société. Il serait sans doute aussi utile d’analyser le comportement de la société du point de vue sociologique afin de comprendre le phénomène de masse vis-à-vis de l’énergie. Et il en serait de même pour une étude psychologique pour la mise en perspective du complexe social vis-à-vis du génie. Seulement notre but est autre. Le cas de Leonardo da Vinci représente pour nous un exemple générique, un paradigme dans le domaine cognitif qui met en évidence que le rejet de la société pourrait être considéré comme une caractéristique nécessaire dans l’évolution du génie universel, une fois que celui-ci est considéré comme tel par l’avenir de l’humanité.