1820 - Vision et imagination

N. Lygeros

« L’imagination ne voit pas aussi parfaitement que l’œil parce qu’elle reçoit les images ou ressemblances des objets et leur donne accès à la sensibilité d’où elles vont au sens commun qui les juge ; mais la représentation imaginée ne peut sortir du sens commun, si ce n’est pour être confiée à la mémoire, et là elle s’arrête et meurt si la chose imaginée n’est pas de grande qualité. » Leonardo da Vinci.

Il peut paraître quelque peu saugrenu de comparer la vision et l’imagination. Néanmoins cette comparaison est tout à fait naturelle dans le cadre du Traité de la peinture de Leonardo da Vinci. Celui-ci arrive à ce point après avoir montré, selon ses propres dires, à la supériorité de la peinture sur la poésie mais aussi la musique. Ces arts qui sont a priori plus abstraits que celui de la peinture – à l’époque de l’écriture du traité – rentrent dans le schéma de son argumentation qui confie d’une certaine manière plus de poids au concret. Pour comprendre son point de vue, il est nécessaire de le contextualiser car manifestement il ne peut être considéré comme universel. Leonardo da Vinci est au cœur d’une polémique littéralement scholastique aussi il éprouve le besoin d’effectuer une mise au point hiérarchique en matière d’arts. Il faut aussi tenir compte du fait que son évolution intellectuelle par la suite montre un changement de phase puisqu’il va s’intéresser de façon quasi exclusive à des problèmes d’ordre scientifique. Cependant ceux-ci ne seront pas pour autant abstraits car le centre d’intérêt de Leonardo da Vinci demeure immuable. La science doit être appliquée ou sinon elle perd son sens. Il n’est certes ni ingénieur, ni technicien, ni véritablement inventeur au sens strict du terme même s’il ne manque pas de toucher ces concepts. En réalité c’est justement contre la notion de concept qu’il écrit. Le concept ne l’intéresse que s’il est réalisé. Aussi sa comparaison entre la vision et l’imagination doit être interprétée dans ce cadre. Sa réflexion porte aussi sur la modélisation du monde. Il insiste donc sur la notion de perception et par la suite d’action. L’aspect cognitif ne le préoccupe pas dans cette problématique. Aussi il ne rentre pas dans le contexte de la noosphère. Dans le cadre restrictif de son examen – n’oublions pas qu’il écrit le Traité de la peinture – le centre de son argumentation est la représentation. Comme celle-ci doit être fidèle – pour le contexte de l’époque – l’œil semble être le meilleur instrument pour comprendre la réalité. Alors que l’imagination même si elle pouvait dépasser la réalité n’est, de son point de vue, observable que par sa réalisation. Elle reste dans un monde inaccessible ou elle se projette sur la réalité. Et dans ce cas, elle est certainement moins fiable que la vision. Nous nous rendons donc compte que si nous n’effectuons pas une restriction conceptuelle et temporelle, la pensée de Leonardo da Vinci pourrait sembler incohérente. Surtout que ce génie est avant tout resté le domaine conceptuel puisque très peu de ses projets ont été réalisés. Il ne faudrait donc pas mal interpréter sa réflexion d’autant plus que nous avons tendance à le considérer comme un visionnaire !