1477 - Conscience collective

N. Lygeros

Certains analystes européens tentent de réduire la résistance autrichienne à un simple problème de nature intérieure. Cependant lorsque les sondages montrent que plus de 90% de la population autrichienne est hostile à la candidature orientale, les causes sont nécessairement plus profondes. Et ces dernières sont nécessairement en relation avec la conscience collective. L’entrée des 10 nouveaux états dans l’Union Européenne a réalisé une vision autrichienne. Ce pays dont la taille n’est ni révélatrice de son apogée ni de son ampleur dans les siècles passés, retrouve peu à peu ses marques dans un contexte certes différent institutionnellement parlant mais dont le but est l’unification. L’empire austro-hongrois s’étendait sur une grande partie de l’Europe orientale et des Balkans de l’Ouest aussi il n’est guère étonnant de voir l’enthousiasme des Autrichiens pour ce récent élargissement. Et ce fait ne correspond nullement à une crainte de travailleurs étrangers comme nous pourrions le penser ailleurs. Au contraire, les Autrichiens ne voient dans ces peuples que des frères qui ont partagé des siècles de vie commune face au même ennemi. Ce passé commun explique aussi les efforts autrichiens quant à la candidature de la Croatie qui ne représente qu’une étape pour l’Autriche puisque cette dernière veut aussi promouvoir d’autres républiques de l’ex-Yougoslavie. Nous voyons que dans cette vision, la Yougoslavie ne représente plus un point de référence. Tout se déroule dans un cadre géostratégique plus vaste. Et c’est ce même cadre qui explique la résistance de la conscience collective autrichienne. Le siège qu’elle subit, est toujours le même. Que l’ennemi change de nom et que d’ottoman, il devienne jeune turc, ou de kémaliste qu’il devienne néo-musulman, cela ne change rien. C’est toujours le même état profond qui ne reconnaît pas les acquis de la démocratie, les droits de l’Homme, le génocide des Arméniens, la Démocratie chypriote. La peur de l’Autriche n’a rien d’irrationnelle, elle est fondée sur une réalité que certains états qui n’ont jamais été en contact avec l’impérialisme turc ne peuvent connaître ou parfois ne veulent connaître en raison d’intérêts économiques. De plus, lorsque l’Autriche voit certaines différences de traitements entre la Croatie et la Turquie quant à la question des droits de l’homme, il n’est pas étonnant de voir son agacement à l’égard du système. La Turquie est l’un des pires cas au monde dans ce domaine et ce, de manière diachronique mais tout le monde veut oublier ce détail comme s’il n’était que cela dans le domaine des négociations. Enfin il est tout simplement intolérable d’entendre que l’adhésion d’un état laïc peut améliorer les relations avec les musulmans. Les musulmans connaissent très bien le double jeu de la Turquie sur cette question et ne considèrent pas qu’elle représente un exemple à suivre. La conscience collective autrichienne le sait aussi et c’est pour cela qu’elle résiste avec une telle vigueur. Sa résistance ne se fait pas remarquer uniquement dans le pays mais aussi au sein des institutions européennes. Car le panache même s’il est dénigré, il est craint.