1406 - Misère sociale et grandeur humaine

N. Lygeros

L’observation des rouages bureaucratiques d’une institution permet de mettre rapidement en évidence non pas la grandeur humaine mais la misère sociale. La société, sous prétexte de servir les hommes, via son processus de massification, les transforme en une masse anonyme. En se retrouvant dans la queue d’un prétendu service, ils perdent leur identité humaine. Les prétendues aides métamorphosent le service en soumission, comme s’il s’agissait de l’armée avec son service national. L’individu qui est responsable du service, se contente de transmettre des directives. Car la quantité des clients dévalorise ces derniers qui n’ont plus rien des rois, même en termes de marketing. Les hommes manipulés sont transformés en clients pour finalement devenir des individus anonymes. Dans le cadre de ce processus nous pouvons admirer toute l’ampleur de la misère sociale. Déshumanisés, les employés deviennent peu à peu sacrés dans cette massification car ils contrôlent le destin des individus. Le contact avec le pouvoir mis en place, leur donne une autorité artificielle qui leur permet de prendre le dessus sur les individus. Tout cela bien sûr au nom d’une société dont le but essentiel, est le bonheur de l’homme. En réalité, à travers ce bonheur idéal et utopique, la société se donne le droit de priver les hommes de leur liberté, de leur accès au savoir et de leur propre identité. Aussi il n’est pas étonnant que la grandeur humaine soit si rare dans ce cadre.

L’humiliation humaine ne concerne pas seulement les hommes transformés en clients puis individus, mais aussi des employés de l’institution qui via leur soumission professionnelle deviennent des prisonniers d’un système. Le caractère vicieux de ce dernier provient du fait que l’ensemble de la population qui le subit au niveau de son existence, le renforce à travers son comportement. Ce renforcement s’effectue via la globalisation de la localisation. Au niveau local, chaque homme ne se rend pas compte qu’il est exploité et il ne réagit pas. Seulement son cas, une fois qu’il est généralisé, devient une composante d’un résultat global. Cela est possible en raison de la faible pression sociale sur le local tandis qu’au niveau global, cette pression est extrêmement forte. Aussi un simple mouvement de résistance au niveau local est rare. L’individu dans ce cadre n’est pas seulement un homme, il est de plus irréductible. En d’autres termes, il est indépendant de ce contexte social qui aliène l’aspect humain. Cela signifie aussi que ce type d’homme sera ressenti par les autres comme radicalement différent. Les autres n’attribueront sans doute pas une grandeur humaine à cette différence. Elle sera certainement qualifiée de trop humaine. Néanmoins la différence existe et peut servir de point de référence aux autres, même s’il est caractérisé comme extrême. Leur simple existence devient alors un acte de résistance pour le système. Car c’est aussi un lieu noétique où se déroule le combat entre la misère sociale et la grandeur humaine. Si l’ensemble de ces singularités sont mises en réseau, alors la complexité de ce dernier permet de réaliser un changement de phase de l’ensemble de la structure. C’est pour cette raison que le système tentera toujours par tous les moyens de les isoler afin de ne pas subir les conséquences de leurs actions conjuguées. Car dans le cas contraire, la société dont dépend le système est non seulement vouée au changement mais à la disparition au profit d’une autre société plus humaine où les hommes ne seront pas soumis au système car ils auront conscience d’appartenir à l’humanité.