138 - Remarques sur la créativité et les mathématiciens

N. Lygeros

Remarques suite à la lecture de l’excellent rapport de Thomas Riepe :
(Uncreative) Report about creativity. Thoth, 16, 8/99.

I) Référence à l’article de Helson et Crutchfield: Mathematicians : The creative researcher and the average PhD(Journal of Consulting and Clinical Psychology, 34, 1970)

J’ai fait passer à sept doctorants en mathématiques pures et appliquées (comparisons Ss) les deux tests spatiaux et numériques suivants :
http://www.mensa.es/test/test.html (18 questions, 8 minutes)
http://perso.infonie.fr/g.schmidt/mensa/index.htm (40 questions, 30 minutes).
Aucun d’entre eux n’a eu le niveau Mensa.

II) Référence au travail de pionnier d’Alexandre Grothendieck.

Grâce à cette référence je me suis souvenu d’un échange épistolaire avec Jean-Pierre Serre sur le style en mathématiques et donc d’une certaine manière la créativité du mathématicien.Voici donc un extrait de la lettre du 27/5/94 de Jean-Pierre Serre(correspondance personnelle) :

[…] Quand on veut résoudre une question, tous les moyens sont bons – je suis bien d’accord avec Erdös là-dessus. En fait, on peut même dégager une espèce de stratégie tous terrains :

lorsqu’on a un problème dépendant de paramètres, et auquel on s’intéresse vraiment
1) dégager le “plus petit” cas où le problème est intéressant et non résolu ;
2) s’acharner sur ce cas, par tous les moyens possibles, même si ces moyens n’ont pas l’air de s’appliquer au cas général ;
3) le pas 2) franchi (qui est le plus dur), examiner les moyens employés et constater (le plus souvent) que l’on peut les transposer au cas général ; sinon, passer au cas suivant (comme au jeu de l’oie).
Tout ça est plus facile à dire qu’à faire !

De plus, ce n’est pas la seule méthode possible. Grothendieck travaillait très différemment. Il essayait de trouver la généralité maximale pour le théorème envisagé. Une fois trouvée, il restait si peu de moyens possibles que ceux-ci étaient forcément les bons (dans l’hypothèse où le théorème voulait bien se laisser démontrer).

Ce qui est extraordinaire, c’est que cette méthode – en apparence si dangereuse – lui ait réussi si souvent ! […]

La méthode de Pàl Erdös – que j’avais décrite et que sous-entend Jean-Pierre Serre dans sa réponse – consiste à considérer que tout est permis. Elle est bien sûr particulièrement efficace en combinatoire et en théorie des nombres mais elle est directement dépendante de l’intelligence et de la créativité du solveur.La méthode décrite par Jean-Pierre Serre est explicitement un algorithme théorique dont on ne sait s’il aboutira. Même si le pas 2) rejoint la méthode de Erdös et ses caractéristiques cette méthode – dans les autres pas – dépend en de nombreux points des connaissances et de la puissance de résolution du solveur qui adopte ici une approche locale du problème.

Il est intéressant de noter que la méthode développée par Alexandre Grothendieck sous-entend l’existence de superstructures capables de supporter les généralisations successives du solveur. C’est souvent le cas en algèbre mais pas dans tous les domaines des mathématiques.

Par ailleurs cette méthode qui constitue une approche globale, est aussi celle utilisée dans les calculs (moins abstraits tout de même et surtout beaucoup plus calculatoires) par les langages de haut niveau pour démontrer des résultats. En effet, ces derniers sont toujours plus performants dans le symbolique où la généralisation des calculs permet d’exploiter la puissance de l’algèbre. Cela est dû sans doute au fait que cette dernière méthode est d’une certaine manière la plus automatique des trois dans sa phase principale i.e. phase démonstrative. Cependant il est évident que la créativité du solveur est de nouveau nécessaire dans la phase heuristique qui représente le processus de généralisation.