1300 - Degas ou la nudité faite femme

N. Lygeros

Avant d’aborder le thème de la nudité chez Degas, il est tout à fait important de signaler qu’il constituait une exception dans l’utilisation intensive qu’il faisait du pastel. Au départ, exploité comme un instrument de schéma, le pastel chez Degas est rapidement complété par l’huile mais aussi la gouache. De plus il est utilisé au même niveau que les autres techniques. Degas n’y jette pas un regard condescendant car il lui permet de faire passer des messages différents plus adaptés aux sujets de ses tableaux.

La nudité chez Degas n’est pas vulgaire. Elle est dégagée de toute coquetterie comme il l’a dit lui-même. La femme en elle-même se détache de son rôle social. Elle est en somme plus humaine. Elle conserve sa féminité mais sans solliciter un artifice. A travers sa nudité, la femme est féminine. Il se dégage aussi de cet ensemble de tableaux, le sentiment de simplicité. Rien de simpliste néanmoins. Les gestes sont lents presque lascifs et le corps de la femme est la représentation humaine de la notion de courbure. Car tout est courbe dans cette féminité. De plus l’omniprésence de la pudeur est marquée par le fait que nous ne voyons jamais le visage. Ce dernier n’est pas représenté de face mais pas seulement, en réalité il est à peine esquissé comme s’il ne s’agissait que d’un complément au corps. Car dans cette peinture de Degas c’est avant tout le corps qui est mis en exergue. Un corps brut mais jamais brutal, un corps sans artifice. Tandis que le dos et le bas du dos est toujours présent pour ainsi dire. Aussi nous l’interprétons comme un concerto de violoncelle. Tout est organisé autour de ce thème sous forme de variations. L’axe est toujours celui de la colonne vertébrale qui n’est jamais verticale et si jamais elle est droite ce n’est que pour mieux esquisser les fesses. Celles-ci ne sont jamais mises en valeur en elles-mêmes et pour elles-mêmes. Elles sont simplement la continuation du dos. Même s’il est possible de considérer qu’elles sont en réalité l’aboutissement de ce dernier. Présentes mais jamais imposantes, elles agissent comme un élément de tendresse dans le tableau. Celui-ci n’est jamais axé directement sur elles mais elles accompagnent formidablement bien l’ensemble. Elles ajoutent aussi cet élément féminin qui se trouve dans la rondeur et qui permet de sexuer l’ensemble du tableau. En effet l’organisation du tableau exploite cet élément essentiel afin de poser sa marque. Sans atteindre un érotisme véritable, Degas parvient à nous toucher tout en délicatesse grâce à la texture du pastel qui est par nature tendre. Et même si le thème est celui de la femme nue, le peintre donne aussi des éléments de son époque. De cette manière, il marque indirectement le temps de l’œuvre et celui de sa création qui demeure ainsi contextuelle. Il existe évidemment certains éléments du décor qui sont tout à fait caractéristiques ; cependant le point crucial, c’est la gestuelle elle-même qui est la pose choisie. Ce choix se situe au niveau de la combinaison de la nudité et de la chevelure. Degas montre le soin que les femmes prennent de cette unique parure de leur nudité, et met en exergue d’une autre manière encore leur féminité.