1298 - Remarques sur l’impressionnisme de Degas

N. Lygeros

Il ne s’agit pas pour nous de tenter d’étudier l’ensemble de l’œuvre d’Edgar Degas. Nous voulons juste mettre en évidence un point que nous considérons comme crucial dans celle-ci. Nous nous intéressons ici à la période qui vit apparaître le traité d’Edmond Duranty intitulé La nouvelle peinture. La raison de cet intérêt, c’est l’interaction intellectuelle qui existe entre les écrivains, les critiques et les artistes. D’une part nous savons, qu’à cette époque du moins, Degas était très influencé par ces échanges et d’autre part nous avons des traces picturales de l’influence subie et du feedback ainsi produit. Ceci est particulièrement vrai avec le portrait d’Edmond Duranty de 1879, ce tableau qui utilise une technique mixte avec pastel et gouache. Cependant ce qui nous importe vraiment dans ce tableau, c’est son caractère autoréférent. En effet ainsi que le préconise Duranty l’environnement pictural doit représenter le caractère du personnage dont on tire le portrait. Le cadre soutient la gestuelle de celui qui pose. Et dans ce tableau nous voyons l’archétype de ce principe. Edmond Duranty est pensif comme l’indique sa main gauche. Sa main droite qui exprime une certaine langueur est pourtant appuyée sur un carnet. L’ensemble des ouvrages qui se trouvent sur son bureau et particulièrement la pile de papiers met en évidence non seulement son caractère intellectuel mais aussi l’importance accordée à son œuvre écrite. Ce fait est accentué par l’omniprésence de la bibliothèque qui recouvre le fond de la toile. Il est vrai qu’aucun livre n’est précisément dessiné mais de cette manière il se dégage de l’ensemble encore plus de force. Car la toile exige de la part de l’observateur de devenir d’une part spectateur et d’autre part d’avoir une vision globale pour ne pas dire holistique. Le peintre utilise de plus deux axes pour briser la symétrie carrée du tableau. Nous avons tout d’abord un crescendo en matière de livres du premier plan jusqu’au fond. Et ensuite la position du personnage lui-même légèrement décentrée sur la gauche, concentre notre regard sur la droite. Ainsi nous avons les deux diagonales du carré qui sont utilisées pour donner un aspect dynamique à un plan statique par définition. Sans rien dire le personnage central nous informe via son environnement sur la nature de sa pensée. Nous ne pouvons pas encore parler proprement de tableau de genre mais il est certain que Degas a parfaitement assimilé et même intellectualisé ce que nous qualifions désormais d’impressionnisme. Il ne laisse pas le choix au spectateur qui n’a pas le temps d’analyser picturalement le tableau. Il est d’abord absorbé par son sens qui est si puissant qu’il domine l’ensemble de l’œuvre sans pour autant l’écraser. De nombreux tableaux d’Edgar Degas exploite cette méthodologie mais celui-ci nous semble le plus formel de tous dans le sens où il représente totalement le schéma mental que nous observons par ailleurs de manière quelque peu vulgarisée. Cette manière de traiter le monde continue de manière picturale les propos d’Edgar Degas lui-même, à savoir que dans son art rien n’est spontané. L’inspiration, la spontanéité et le tempérament, de son propre aveu, lui sont inconnus. Sa peinture est véritablement l’aboutissement d’études basées sur des principes réfléchis et dégagés du magma de la réalité.