1287 - Philosophie de la révolution et misère de la révolte

N. Lygeros

« Ainsi la contradiction de la valeur, née de la nécessité du libre arbitre, devait être vaincue par la proportionnalité de la valeur, autre nécessité que produisent par leur union la liberté et l’intelligence. Mais pour que cette victoire du travail intelligent et libre produisît toutes ses conséquences, il était nécessaire que la société traversât une longue période de tourments. » Cette citation extraite du livre de Joseph Proudhon intitulé : Philosophie de la misère est sans aucun doute abstraite pour les non spécialistes et même pour certains activistes, car leur culture en ce domaine est soit inexistante, soit réduite à néant à cause de l’aliénation de leur pensée philosophique. Il ne suffit pas de se nommer pour être. Il faut œuvrer pour être et ensuite être nommé. Un lecteur peu assidu de Proudhon et il y en a eu de célèbres, ne comprend tout simplement pas la nécessité de la nécessité dans sa pensée. De ce fait, inexorablement toute révolution est transformée en révolte ou plutôt dégénère naturellement en ce concept. Pour faire une révolution, une révolte ne suffit pas. Car la seconde n’a pas besoin de la pensée pour s’exprimer. La douloureuse évolution décrite par Joseph Proudhon est sans doute peu explicite même si elle ne se réfère qu’à la réalité historique. Cependant la compréhension d’un phénomène nécessite une plus grande compréhension que celle qui est nécessaire pour suivre son développement.

Pour être effectuée, la révolution doit être conceptualisée, ce qui n’est pas le cas de la révolte. La première correspond à un changement de phase holistique préparée par des singularités tandis que la seconde ne correspond qu’à l’expression d’une critique locale. Elles ne possèdent pas le même substrat et elles n’ont pas les mêmes conséquences sur l’ensemble d’un peuple ou même de l’humanité. Alors que la première réalise un bouleversement conceptuel qui est véritablement révolutionnaire en remettant en cause les données initiales, la seconde, à savoir la révolte correspond à une volonté conservatrice. Dans ce type de revendication, il y a simplement une volonté à un retour au passé car le présent n’est plus contrôlé. C’est le débordement de la réalité sur l’espace conceptuel qui provoque ce refus. Et c’est un refus au changement. De même la création des droits de l’homme par la Constituante était un acte véritablement révolutionnaire car il remettait en cause tous les principes précédents et il provenait de l’évolution d’une pensée philosophique. Ainsi la Constitution Européenne représente à son tour une véritable révolution conceptuelle qui dépasse de nombreuses personnes, non pas culturellement parlant mais philosophiquement. Son refus est né d’une incompréhension face au futur qui est nécessaire pour accorder du poids au présent. Pourtant la philosophie de la révolution est présente dans le texte constitutionnel comme elle l’était dans la déclaration des droits de l’homme. Seulement il faudrait le lire ce texte sans se contenter d’accuser les contenus des traités précédents. Dans la philosophie de Proudhon c’est l’union de la liberté et de l’intelligence qui parvient à répondre à la nécessité. La liberté sans l’intelligence n’est qu’un don inexploitable. Tout est dans la combinaison des deux. Alors que certaines personnes se révoltent, c’est compréhensible, mais cela ne remet pas en cause la valeur de la révolution, c’est simplement l’expression de l’esprit de contradiction.