1049 - De la question orientale à la conscience européenne

N. Lygeros

S’il existe un point véritablement positif provenant de la question orientale, c’est indubitablement celui de la conscience européenne. Les nouveaux accords avec la Bulgarie, la Roumanie et même la Croatie ne font que confirmer ce point de vue, étant donné que l’opinion publique européenne n’a aucunement réagi négativement à ces candidatures, poursuivant ainsi la mentalité dégagée à l’occasion de l’entrée des dix nouveaux états. Alors que la question orientale met en évidence la nécessité de déclarer explicitement ce que nous considérons comme véritablement européen. Le fait que des visions géoéconomiques et géostratégiques obligent à considérer ce cas à part ne fait que renforcer l’idée de l’évolution d’un processus identitaire au sein de l’Union Européenne.

Comme l’Union Européenne est historiquement liée au processus d’extension, elle n’a jamais eu l’occasion de toucher la nature de ses frontières puisqu’elles étaient amenées à changer par la suite. Avec le processus d’obstruction, comme cela est courant en mathématiques, nous voyons apparaître l’identité européenne et ce à différentes échelles aussi bien locales que globales. Les processus de coalition se mettent en place et montrent par leur existence la nécessité d’une réaction et d’une évolution dynamique quant à la notion de frontière. Les réticences ne sont pas que superficielles. L’attente d’une évolution dans le domaine oriental au cours des dix ans à venir n’est pas crédible car il existe des problèmes diachroniques : la non reconnaissance du génocide arménien qui date de 1915, l’aliénation du traité de Lausanne qui date de 1923, la non reconnaissance de l’île de Chypre qui date de 1974, la non reconnaissance de la démocratie chypriote qui date de 1983. Non seulement ces problèmes diachroniques ne sont pas résolus, mais de plus ils ont été largement bafoués, et ce encore récemment avec l’article 306 du code pénal de la Turquie. Les seuls changements proviennent essentiellement des approches des interlocuteurs européens et non de la part de la Turquie. Aussi la question de la différence identitaire se pose. Car l’absorption de l’inconciliable n’est pas une avancée mais un compromis qui a le goût d’une trahison.

Ainsi l’obstruction qui apparaît avec la question orientale met en évidence ce que nous ne voulons pas être en tant qu’européens. Nous ne pouvons accepter de commettre un génocide de la mémoire, nous ne pouvons accepter de bafouer systématiquement les droits de l’homme pour des raisons militaires, nous ne pouvons tolérer l’intolérance à l’égard des minorités religieuses, nous ne pouvons laisser les Kurdes se faire massacrer sous prétexte de stabiliser une région qui est des plus critiques au monde. Ces divergences de principe ne peuvent être effacées par un oubli coupable. Il ne s’agit plus simplement d’accords commerciaux qui ne tiennent nullement compte des rapports humains, il s’agit de l’identité de ce que nous nommons Union Européenne. Mais il ne s’agit pas seulement de cela. Chacun d’entre nous, en tant qu’européen cette fois, se rend compte qu’il a le devoir de prendre part à cette révolution intellectuelle qui n’est autre que celui de la conscience européenne.