809 - L’oasis secrète

N. Lygeros

Dans cette rose des sables posée sur le désert blanc, il existait une oasis secrète. Rares étaient les habitants à y avoir pénétré. Rien de l’extérieur ne laissait deviner son existence. Tout le monde la connaissait mais avec le temps, les hommes avaient fini par croire qu’il s’agissait d’une illusion perdue. Malgré cela les plus anciens continuaient à en parler comme d’un lieu magique qu’ils avaient découvert dans leur enfance. D’après eux, l’oasis secrète se trouvait dans la cour intérieure du palais. Une végétation luxuriante s’accrochait à tous les étages comme s’il y allait de sa vie. Les plantes et les fleurs s’épanouissaient à ciel ouvert dans la fraîcheur du patio. Tout leur monde était réduit à cela car pour elles le monde n’était que cela. Le monde avait là-bas la taille d’un microcosme mais ce dernier avait la grandeur du monde. Les fenêtres le savaient et elles ne regardaient que lui. Et les hommes dans la chaleur torride en rêvaient sans pouvoir le toucher. Sans doute que son inaccessibilité avait augmenté sa part de mystère mais le fait de savoir qu’il était là au centre de la ville suffisait à rendre les hommes moins malheureux. Ils étaient suspendus à ce jardin comme un amant aux lèvres d’une femme. Sa légende contentait leur imaginaire. Il faut dire que celui-ci n’avait que très peu de place dans la dureté de leur réalité. Cependant un coin de paradis justifiait bien des tourments. Juste le fait de savoir que la secrète oasis était parmi eux leur apportait déjà du réconfort. Pour eux, elle était devenue cette femme que l’on désire pour que le désir existe même dans les quartiers les plus défavorisés. Ainsi qu’il en est de ces fleurs qui poussent dans des endroits si peu propices à la vie que leur existence à elle seule provoque l’étonnement des hommes. Chaque homme, chaque femme et surtout chaque enfant aurait aimé une fois dans sa vie faire comme les anciens et pénétrer dans l’oasis secrète. Ils auraient voulu humer ses essences rares, voir l’éclat des couleurs dans un lieu si étrange pour cette rose des sables posée sur le désert blanc. Mais le sort en avait décidé autrement. L’oasis secrète le resterait à jamais car ces hommes, ces femmes et ces enfants n’auraient bientôt plus le droit de fouler le sol de cette terre qui les avait vu naître. Aussi l’oasis secrète ne leur serait accessible qu’à travers le voyage imaginaire d’une mémoire qui n’avait pu se résoudre à mourir sur cette terre et qui avait décidé de partager le sort des condamnés à vivre.