631 - Une approche didactique de la visualisation des trois dimensions

N. Lygeros

Au cours du séminaire intitulé Développement et Créativité que nous
avons effectué avec deux dizaines d’enfants de 8 à 12 ans les 25/07/2003 et
28/07/2003, nous avons abordé le problème de la visualisation des
trois dimensions.
Il ne s’agit pas de la visualisation réelle dans l’espace puisque nous savons
que ce problème est résolu par les enfants lorsqu’ils sont beaucoup plus
jeunes. Le but de nos séances était la découverte des diverses représentations
codées en deux dimensions d’objets à trois dimensions. Ces objets étaient
fortement géométriques au sens mathématique du terme afin de mettre en
évidence les difficultés propres à la représentation de trois dimensions et
non celle due à la complexité de l’objet i.e. détails, couleurs, textures.


Le premier objet à dessiner était le cube et pour l’identifier nous avons
utilisé le modèle du Rubik’s cube, connu pour l’ensemble des enfants comme
un jeu familier. Dès les premiers dessins, il nous a été montré que les
enfants n’avaient non seulement pas l’habitude d’effectuer ce genre de
problèmes mais surtout qu’ils étaient incapables de créer d’eux-mêmes un
modèle même
élémentaire du cube. En réalité, ils se contentaient tous de dessiner l’une
de ces faces i.e. un carré. En insistant sur la non fidélité du dessin par
rapport à l’objet initial, nous avons obtenu des dessins de deux faces, sans
pour autant respecter les tailles réelles. Aussi les deux faces avaient
exactement la taille du premier carré. Certains des enfants pourtant ont
commencé à les tordre quelque peu de manière à pouvoir placer une troisième
adjacentes aux deux premières.


Par ce biais, nous voyons aussi que le cube n’est pas considéré comme un objet
solide. Il semble être un modèle qui tient plus de la pâte à modeler. Les
déformations topologiques sont permises et ne sont pas considérées comme
telles. Quant à sa rigidification, elle semble être tout à fait conventionnelle
initialement même si les enfants reconnaissent effectivement le cube à trois
dimensions dans cette nouvelle représentation.


Il est fondamental de saisir le fait que pour la très grande majorité de ces
enfants, l’apprentissage de la représentation canonique du cube est mimétique
et algorithmique. En effet si l’explication est uniquement orale sans aucun
dessin à l’appui, les enfants se retrouvent dans l’incapacité de la
modéliser. De même si la représentation est donnée dans son stade final les
enfants éprouvent de grandes difficultés à la dessiner. Alors que la
construction décomposée par étapes élémentaires permet aux enfants de suivre
pas à pas la procédure. Via cet algorithme après quelques essais seulement
nous obtenons des cubes tout à fait respectables. Une fois cela acquis et ce
malgré les protestations des enfants sur l’impossibilité de le faire nous
utilisons le motif de base dans des constructions à trois dimensions plus
complexes.


Auparavant, nous entrainons les enfants à déplacer mentalement les faces du
cube ouvert afin qu’ils puissent découvrir explicitement la plasticité
cérébrale et les positions privilégiées du cerveau dans l’interprétation des
figures géométriques. Une autre étape associée à cette dernière, c’est la
mise en évidence auprès des enfants de l’oeil dominant dans la visualisation
via l’expérience du doigt et l’explication figuré du phénomène optique.


La seconde étape dans les représentations et la première dans les
constructions à trois dimensions consiste en l’assemblage de deux
parallépipèdes, l’un couché et l’autre droit. Le second est devant le premier
sur l’un de ses grands côtés. Ensuite, une fois que les enfants ont réalisé
ces cubes allongés selon leur propre expression, nous leur faisons placer
deux petits cubes dont les arêtes sont égales à celles des petites faces des
parallépipèdes. L’un sur le côté supérieur du parallépipède couché et l’autre
sur l’autre extrémité mais cette fois devant et sur son dessus. De cette manière
les enfants découvrent les priorités des arêtes afin de placer un ordre
d’apparition dans les volumes. De plus il est indispensable pour eux
d’effacer une partie des figures précédentes ce qui les forcent à travailler
dans un espace dynamique et non statique. Car les nouvelles pièces de
l’assemblage perturbent les données antérieures. Chaque nouvelle pièce engendre
des post-contraintes et des pré-contraintes d’où la nécessité pratique de
l’utilisation du crayon à papier. Enfin nous complétons cet assemblage par un
ajout irréaliste à savoir un parallépipède couché disposé en déséquilibre
sur celui qui est droit. Cette opération montre aux enfants que le modèle à
deux dimensions n’est pas seulement une réduction formelle et conventionnelle
de la réalité mais qu’il permet aussi la réalisation de constructions mentales.
Il est remarquable à ce sujet que les enfants ne sont pas gênés par l’absence
de réalisme de la construction ce qui confirme la non-rigidification de leur
structure organisationelle. La dernière touche à cet assemblage, c’est la pose
d’un fil vertical qui relie le dernier parallépipède au petit cube qui se
trouve sur le parallépipède couché initial. Ce dernier point permet aux
enfants à la manière d’un certificat de voir si leur assemblage final est
cohérent puisqu’il permet la fermeture cognitive des objets placé au fur et à
mesure.


Grâce à cet assemblage, les enfants sont désormais convaincus ipso facto
qu’ils peuvent réaliser des objets complexes. Aussi nous mettons cela à profit
pour travailler sur des formes plus exotiques pour eux à savoir la première
phase d’une carpette de Sierpinski associée à d’autres pour obtenir un volume
tétraèdral lequel est placé sur une forme en gamma autoréférente vu en
perspective. A partir de ce moment les enfants se sentent, d’une certaine
manière, complètement libérés par le complexe de l’inaptitude au dessin à
trois dimensions et entreprennent d’eux-mêmes pour certains d’embellir
leurs assemblages à l’aide de couleurs qui renforcent l’effet de perspective.
Ils montrent ainsi que l’acquisition d’une compétence technique permet via
son développement d’exprimer une créativité potentielle qui peut se réaliser
dans des situations bien plus complexes et surtout pensées comme inabordables
initialement. Dans ce cadre la cristalisation permet de déceler la fluidité
vers la complexité sans que cela ne soit une contrainte réelle.