571 - Sur le confinement intellectuel

N. Lygeros

Pour un individu normal, son monde est le monde. Il n’a donc pas besoin d’effectuer une quelconque modification mentale de sa vision. Tandis que pour un individu précoce, son monde est fondamentalement différent du monde. La réalité n’est qu’un milieu neutralisé par la société afin d’être le plus possible adapté à la masse de la population. L’individu est par nature un point isolé de ce milieu. Cependant ses capacités cognitives lui permettent d’entrevoir l’existence d’une supra-structure invisible qui relie les individus isolés. Les éléments de cette structure sont les relations humaines potentielles. L’individu a plus ou moins conscience de cette structure selon son niveau cognitif. Dans un premier temps, il se sent différent de la masse et tente par tous les moyens d’affirmer son existence sans se rendre compte que ce comportement est caractéristique de sa catégorie. A un autre stade, conscient d’être un cas isolé, l’individu se marginalise. A un stade supérieur, l’individu se sent responsable de la survie de cette structure abstraite à laquelle nous pouvons attribuer le nom d’humanité.

Dans le meilleur des cas, les singularités sont en contact avec des neuro-transmetteurs et eux-mêmes sont en contact continu avec l’interface. Seulement que dire des points isolés qui n’ont pas le statut de singularité. Marginalisés par le système, ils tendent vers un confinement intellectuel. Différents mais isolés, ces individus loin de vouloir produire un quelconque effet sur la société, s’organisent en société dans un milieu fermé. Ils ont décidé que leur monde serait l’unique monde. Alors ils vivent dans un monde parallèle avec ses propres structures, une sorte d’immense jeu de rôles où toutes les règles sont définies selon leur bon vouloir. Seulement quid de l’apport ?

Toute la difficulté comportementale se situe à ce niveau. En effet, ils se considèrent marginaux par choix et non par nature ni en raison de la société. Même si cela est un point de vue consensuel il n’en demeure pas moins qu’il est manufacturé. Car ces individus par choix ou par nécessité, sont désormais effectivement incapables de produire le moindre impact sur l’humanité. Vivant dans un milieu d’auto-satisfaction intellectuelle, leur existence a acquis le statut d’une vie.

Cependant cette vie pour l’ensemble de l’humanité est tout aussi inutile que celle d’un individu normal heureux d’être ce qu’il est. Les autres ne sont pas heureux d’être mais d’être différents. Cette différence ontologique même si elle est réelle, n’induit pas pour autant des conséquences téléologiques. Les individus sont essentiellement différents mais agissent fondamentalement de la même manière. Aussi au final, ils se retrouvent dans la même catégorie même si cela n’est réalisé que dans un deuxième temps.

Ainsi le confinement intellectuel, même s’il permet de transformer une existence en vie ne peut rien produire de plus. Il est une fin en soi et représente donc l’achèvement de l’individu. Seulement si nous examinons cette situation du point de vue intellectuel, il est difficile de ne pas voir dans cette attitude non seulement le caractère superfétatoire de la normalité mais surtout l’erreur intellectuelle de confinement. La mise à l’écart des problèmes ne les réduit pas pour autant à néant. Ils continuent à exister seulement les individus ne les affrontent pas. Ainsi en termes praxéologiques il n’y a pas de différence axiologique. Le processus de confinement intellectuel, loin d’être un apport n’est en réalité qu’une manière déformée de reproduire les effets de la masse. Les uns le font par nécessité les autres par choix mais à l’arrivée le résultat est le même.

Alors que les individus qui subissent le confinement intellectuel pourraient au moins sur le plan théorique, augmenter considérablement la masse intellectuelle globale au point d’engendrer un phénomène de criticité. Seulement, le chemin est long entre la prise de conscience et le passage à l’acte.