4380 - Sur un juste

N. Lygeros

Comment comprendre un juste? Faut-il lire le livre d’Albert Camus? Faut-il saisir la complexité de l’implication lorsqu’il n’existe aucune autre raison que celle de l’humanité? Ou plus simplement encore, est-il possible de comprendre l’insupportable? Car un juste vit nécessairement dans un monde injuste comme une oasis dans un désert. Seulement quel est le sens de l’oasis pour le désert, si ce n’est celui de l’erreur, de l’étrange, car un juste est avant tout une singularité dans le monde. Et cette singularité est essentiellement seule. Par contre, pour la barbarie du système, cette singularité doit être interdite. Car il est impensable pour le système d’avoir à gérer une existence qui s’intéresse aux autres. L’essence du système consiste à imposer le fait que les hommes sont individualistes. Même si la réalité est radicalement différente. Car les hommes ne peuvent vivre qu’au sein de l’humanité. Le système veut réduire les hommes à l’état d’individus. Seulement cela n’est pas tolérable par les justes. Un seul d’entre eux, même abandonné par les innocents ne peut se taire face à l’injustice. Le système se base non seulement sur l’indifférence mais aussi sur l’inertie et la manipulation de la masse. Alors qu’un juste ne peut être indifférent par nature. Quant à l’inertie, elle est tout simplement inconciliable avec la mission du juste. Ainsi un juste représente une double révolte à l’encontre du système. C’est en cela qu’un juste est une révolution humaine. Sans se contenter d’un humanisme passif, un juste éprouve la nécessité de dire NON lorsque tous les individus acceptent l’intolérable. Et cette opposition suffit à remettre en cause les affirmations du système. Les hommes ne sont pas seulement des individus car un seul juste suffit à créer le contre-exemple. Et l’humanité montre comment suivre ce contre-exemple dans sa lutte contre le système de la barbarie. Ainsi à l’instar du schéma mental décrit dans la pièce de Samuel Beckett, la restriction de l’humanité à quelques hommes, nous contraint à la responsabilité. Voilà pourquoi un juste est responsable de tout devant tous. Ainsi dans le cadre d’un génocide, même si des individus sont amenés à penser que dieu n’existe pas, un juste suffit à montrer que même dans ce cas, tout n’est pas permis. Il poursuit donc le schéma mental décrit par Фёдор Достоевский et aucun système d’effacement de la mémoire ne saurait le réduire au silence. Car le silence lui-même serait brisé par les pierres. Un juste se comporte donc comme un anarchiste dans un milieu où tout est consensuel a priori. Seulement l’existence d’un juste permet grâce à son humanité de ne pas oublier l’essence des innocents. Ainsi l’humanité d’un homme aide les hommes de l’humanité. Cette révolution humaine échappe au contrôle des modes sociales. Aussi le système ne parvient que difficilement à résister aux assauts d’un juste. Cependant, ce n’est que lorsque les justes s’unissent qu’ils parviennent à condamner la barbarie du système coupable de génocide.