400 - Petites guerres et grandes idées

N. Lygeros

Bien que les petites guerres soient omniprésentes dans le monde, leur valeur polémologique demeure largement inconnue. Il est vrai que des auteurs se sont intéressés à cette stratégie alternative, mais bien souvent dans le but de la dénigrer. Les suivre dans cette idée serait faire preuve d’un sentimentalisme désuet sur le sens de la guerre, et de conservatisme sur l’art de la guerre. Car c’est cette approche qui a tant retardé les connaissances des armées régulières dans ce domaine. La petite guerre, connue déjà à l’époque de Salluste et étudiée au Xème siècle par l’empereur byzantin Nicéphore Phokas, ne sera vraiment découverte qu’au XXème siècle lorsqu’elle aura pris la forme de la guerre révolutionnaire.

Pourtant, dès 1896, le colonel Charles Callwell dans son livre intitulé “Small Wars” énonce la loi de supériorité tactique et d’infériorité stratégique des armées régulières face à des combattants irréguliers plus mobiles, qui n’ont pas à se soucier de leurs communications. De plus le concept même de petite guerre va dans le sens de la stratégie puisque le but essentiel de celle-ci est de remettre en cause des rapports de force bien établis en termes d’effectifs. Car la naissance de la petite guerre n’est pas due au hasard. Elle est née de la nécessité d’appréhender un conflit où l’on se trouve en infériorité numérique puisque dans ce cas, le choc frontal est exclu. Elle représente donc par excellence la stratégie du plus faible face au plus fort.

Malgré les exemples brillants de guérilla du colonel Lawrence dans la péninsule arabique, malgré le succès de son chef d’oeuvre intitulé ”The Seven Pillars of Wisdom”, les règlements des armées régulières ne prévoient l’utilisation de la petite guerre que dans les colonies. Cependant aucune application au sein de l’Europe n’est envisagée. Le seul contre-exemple d’une utilisation massive de ce concept en vue de l’élaboration d’une stratégie de guerre révolutionnaire est dû à Mao. Et nous voyons combien cette façon de faire est éloignée de celle de la révolution française dans des conditions similaires puisque cette dernière préféra utiliser la masse des insurgés inexpérimentés que via la charge de la colonne profonde. Un moyen rapide et violent pour décider du sort d’une bataille mais moins efficace dans le cadre d’une guerre prolongée. Ainsi les types de guérilla i.e. résistance spontanée et action politique organisée peuvent naturellement être liés puisque le premier peut évoluer en le second.

Ces conflits de faible intensité ont toujours, initialement au moins, une asymétrie temporaire du rapport des forces. Cette asymétrie qui peut être subite (résistance spontanée) ou désirée (guerre subversive), est un fondement ontologique qui influence le mode opératoire. Le but n’est pas de gagner du terrain au sens strict du terme. Les objectifs toujours locaux, même si leur structure peut être plus profonde, visent à perturber l’ordre qui règne dans une armée régulière. En l’absence de hiérarchie, celle de l’autre représente une cible de choix. La guérilla s’appuie sur les défauts majeurs de l’adversaire à savoir sa lenteur et sa pesanteur. Elle s’organise autour du bouleversement ponctuel des rapports de force. Incapable d’attaquer la structure, elle vise ses points faibles locaux et mène une guerre d’usure car son milieu c’est la population elle-même. Sa logistique, sa sûreté et son renseignement, c’est la population. Ainsi bien que par nature isolée et locale, la guérilla a un substrat global et délocalisé. C’est à ce titre qu’elle est similaire dans le milieu des armées régulières aux forces spéciales. Méprisées pour ne pas appartenir au cadre formel militaire, les petites guerres dispensent néanmoins de grandes leçons de stratégie à qui veut bien les étudier.