367 - Attaque oblique et pensée latérale

N. Lygeros

L’attaque oblique a été inventée par Epaminondas et expérimentée par Philippe. Cependant elle n’a montré toute son étendue tactique que lorsqu’elle fut exploitée par Alexandre dans la bataille de Gaugamèles en octobre 331 avant Jésus-Christ. L’élément de base de cette technique offensive est une formation compacte de 256 fantassins lourds disposés sur 16 rangs. Chaque fantassin des premiers rangs tient une sarisse de 4 à 7 mètres selon les combats. Les autres des rangs suivants appuient leur sarisse respective contre l’épaule du précédent. À l’époque, aucune parade n’avait été trouvée contre cette structure qui donna naissance par la suite à la tortue romaine. Mais sa force provenait de sa dynamique. En effet, cette masse structurée, hérissée et protégée avait une force de pénétration inégalée. Elle avait d’ailleurs été un des constituants essentiels dans la bataille de Chéronée sans être pour autant le fer de lance de l’attaque macédonienne. Dans la bataille de Gaugamèles, Alexandre, comme l’a souligné l’historien et le stratège Frontin, déploya sa ligne de bataille de façon à ce qu’elle fît front dans toutes les directions ; ainsi, ses hommes, s’ils étaient encerclés pouvaient combattre de tous côtés. L’attaque sur l’aile gauche de Darius fut une surprise pour ce dernier car elle fut précédée par une charge de cavalerie et dirigée de manière oblique. Bien que l’attaque sur l’aile gauche soit prévisible puisqu’elle correspond à l’extension naturelle du port du bouclier à l’époque, elle n’en demeure pas moins un élément innovant dans un cadre habituellement centré et frontal. Son essence qui provient directement de la physique des matériaux est a posteriori claire puisqu’elle permet une convergence d’action et un renforcement de l’attaque par la réduction de son angle, ce qui signifie, qu’à égale résistance, elle offre une possibilité de perforation du front, d’autant plus qu’elle est accentuée par l’armement lourd des fantassins qui exploite sa propre inertie lancée.

Par l’ensemble de ses caractéristiques, l’attaque oblique représente la réalisation militaire du schéma mental de la pensée latérale. Le point initial de celle-ci est la prise de conscience de l’impossibilité d’un accès direct du savoir. Ainsi toute méthode directe est vouée à l’échec. Cette étape, qui peut sembler élémentaire pour une personne non initiée à la recherche, est en réalité la plus difficile dans le monde conceptuel. Cela provient du fait qu’il est extrêmement difficile et donc rare d’obtenir la démonstration de l’inexistence d’une méthode directe. Aussi le chercheur, dans cette phase non explicite est dépendant de son intuition et de son expérience. Seulement comme celles-ci sont justement limitées dans ce cadre, au final il ne lui reste plus que son intelligence pour former son jugement. Une manière de la faire évoluer dans ce domaine, c’est de traiter les problèmes en s’interdisant les méthodes directes. Cette technique qui peut sembler artificielle constitue un excellent moyen pour comprendre le problème considéré de manière plus profonde. L’accroissement de la difficulté d’accès à la solution permet une analyse plus fine des structures mentales dynamiques. Par ailleurs la pensée latérale, en tant qu’heuristique, donne aussi accès aux points de faiblesse de l’entité problématique car ceux-ci ne se trouvent pas nécessairement sur la face visible du problème. C’est donc la compréhension qui les rend visibles. Ce point met en évidence une idée de la théorie des schémas mentaux à savoir que nous ne voyons que ce que nous comprenons.

Enfin la pensée latérale à l’instar de l’attaque oblique constitue un moyen efficace de traiter un problème via la réalisation de sa complexité dimensionnelle. Il s’agit donc d’éléments tactiques qui nécessitent des connaissances stratégiques préalables. C’est en ce sens qu’ils fusionnent dans l’espace du raisonnement non-uniforme.