3538 - La force des tsiganes

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

Sur la neige
qui d’autre
que les tsiganes
endure la douleur ?
Quand on n’a pas de terre
on apprend à souffrir
avec les autres.
Car l’étranger
est toujours
étrange
et sait souffrir.
C’est cela
la force des tsiganes.

Ce poème, et d’autres auparavant, fait ressurgir des souvenirs qui viennent de très loin dans le temps.
Là où j’habitais, pour aller à l’école, il y avait un très long chemin.
Au détour de ce trajet, au bord d’un bois, et longeant le ruisseau, un emplacement herbeux se voyait souvent occupé par une roulotte, son cheval, et une famille qui devait envoyer ses enfants à l’école le temps de leur halte.
Il y eut au cours des cinq années d’école primaire dans ce petit village, maintes occasions de côtoyer ses occupants, sitôt connus, aussitôt sur le départ.

Je me souviens de cette petit fille, à peine plus jeune que moi, rencontrée un matin sur le chemin de l’école. Elle était accrochée à la main de sa mère, venue à la rencontre du petit groupe d’écoliers qui se formait tout au long du parcours.
Cette femme devait craindre d’emmener elle-même sa fille à l’école. Elle nous dit : “Pouvez-vous emmener ma fille et donner ça à la maîtresse.” Les enfants je m’en souviens, ont tous reculé devant cette femme et cette enfant. Les vêtements différents, l’allure inconnue, le teint plus basané que le plus basané des gens du pays…
Je ne sais pourquoi, moi la plus réservée, sûrement la moins hardie de notre groupe, j’ai tendu la main à cette mère qui venait nous confier son enfant.
Je me souviendrai à jamais de son regard, de son sourire et de ses paroles en lâchant la main de sa fille et me donnant le carnet de scolarité qui suivait son enfant d’école en école. Et presque de jour en jour.

La main de cette petite fille dans ma main d’enfant est sûrement un des plus émouvants contacts humains échangés. MM