3430 - Remarques sur le théorème d’Egoroff et la théorie des somas de Carathéodory

N. Lygeros

Théorème d’Egoroff : Soit E un espace métrique, séparable et localement compact, sur lequel on a une mesure μ σ-finie. Soit fn une suite de fonctions mesurables de E dans R convergeant dans R presque partout vers une fonction f mesurable. Alors pour tout ε≥0 et pour tout compact K de E, il existe un compact K’ inclus dans K tel que μ(K-K’)≤ε et tel que fn converge uniformément vers f sur K’.

Dimitri Fiodorevitch Egoroff (1869-1931) a publié pour la première fois ce théorème dans les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris en 1911 (vol. 152 pp. 244-246). Pourtant, selon Carathéodory, ce théorème se trouve déjà implicitement dans les travaux de Lebesgue. Il mentionne ce fait dans le septième chapitre intitulé Application à la théorie de l’intégration de son livre Mass und Integral dans lequel il redémontre ce théorème à l’aide du formalisme de la théorie des somas.

Comme ce théorème permet de démontrer le théorème de son étudiant Nikolaï Nikolaïevitch Luzin (1883-1950), publié lui aussi dans les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris en 1912 (vol. 154 pp 1688-1690), intitulé Sur les propriétés des fonctions mesurables, c’est aussi le cas pour l’approche de Carathéodory même si ce dernier ne l’effectue pas directement.

Théorème de Luzin : Pour un intervalle [a,b],soit f:[a,b]→C une fonction mesurable donnée. Pour ε≥0, il existe un compact E⊂[a,b] telle que la restriction de f à E est continue et μ(Ec)≤ε, où Ec est le complément de E.

En d’autres termes, toute fonction mesurable est une fonction continue sur presque tout son domaine.

Du point de vue historique cette fois, il est intéressant de constater que Nikolaï Luzin, à l’instar de Constantin Carathéodory, s’est trouvé à l’Université de Göttingen de 1910 à 1914. Pour sa part il a été influencé par l’oeuvre de Edmund Landau (1877-1938). Ceci permet aussi de réaliser combien le monde mathématique était petit à cette époque. De plus les mondes francophone et germanophone étaient extrêmement proches. Et ils représentaient un pôle d’attraction pour le monde mathématique russe. Egoroff est influencé par Lebesgue, Luzin par Darboux et ils publient tous les deux en français dans les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris à l’instar de Carathéodory. Cette proximité mais aussi le rôle central de l’Allemagne à cette époque, explique le cadre de la pensée de Carathéodory d’autant plus qu’il était, entre autres, un élève de Hilbert. Sa vision mathématique correspond aussi à la vision du monde de l’époque par l’Allemagne : une recherche dans l’unité et les fondements, le désir d’embrasser des connaissances larges et vastes qui permettent d’avoir une plus grande compréhension du monde conceptuel. Même la méthode axiomatique correspond à la rigueur de l’époque. Sans caractériser cette vision dogmatique comme a pu l’être celle du groupe Nicolas Bourbaki, elle n’en demeure pas moins absolue et ce malgré l’effondrement du programme de Hilbert en raison du théorème d’incomplétude de Kurt Gödel démontré en 1931. Malgré tout la complétude demeure un fait respectable surtout si elle est habilement contextualisée comme le calcul propositionnel. Néanmoins dans l’analyse et donc dans un domaine placé si haut dans la hiérarchie axiomatique, cette tentative demeure un véritable exploit et lorsqu’elle parvient à un résultat tel que celui de l’axiomatisation de la théorie des somas, elle est véritablement digne d’éloge car elle va dans le sens de l’expression de Dieudonné à savoir l’honneur de l’esprit humain.