3342 - Remarque de Carathéodory sur les applications de l’intégrale de Lebesgue en géométrie

N. Lygeros

Nicolas Bourbaki lui-même a reconnu dans l’histoire des Éléments de Mathématiques, le rôle fondamental de Constantin Carathéodory dans la révélation et l’approfondissement de l’intégrale de Lebesgue. Ce travail a permis de transformer un outil considéré comme sophistiqué et délicat à manier en un outil puissant pour la démonstration de théorèmes profonds. Le rapport de la 94ième rencontre de la British Association for the Advancement of Science à Oxford en août 1926, témoigne de la volonté de Carathéodory de faire connaître à un plus grand public les potentialités de l’intégrale de Lebesgue. Dans cette note, il donne trois exemples d’applications en géométrie. Auparavant il précise que le théorème de Lebesgue n’a pas été uniquement conçu pour la théorie des fonctions d’une variable réelle et que certains problèmes de géométrie, d’analyse et même de physique mathématique ne peuvent être traités sans son aide.
Le premier exemple de Carathéodory concerne la tangente à une courbe. Dans ce cas là, les courbes les plus simples sont celles de longueur finie. La théorie de Lebesgue montre que ces courbes ont une tangente presque partout. Carathéodory explicite par la suite ce qu’il entend par cette expression. Si l’on prend une position au hasard sur la courbe ou encore mieux sur un axe rectifié de celle-ci, alors il y a une probabilité un pour que cette courbe ait une tangente définie en ce point.
Le second exemple du traité des fonctions analytiques les plus simples à savoir celles qui sont régulières et bornées à l’intérieur de chaque unité. Si l’on considère une fonction f appartenant à cette famille et un point dans le disque initié alors la probabilité qu’il existe la limite

quand est égale à un.
Le troisième exemple est sans aucun doute le plus fondamental. Il s’agit d’une interprétation du célèbre théorème de Poincaré dans le domaine de l’ergodicité. Il existe une probabilité un que le chemin d’une molécule dans un liquide incompressible en mouvement, retourne en tout voisinage de la position initiale de la molécule. Carathéodory met en exergue le fait qu’à l’époque de la démonstration – qui était inadéquate – du théorème de Poincaré (1890), il était tout simplement impossible d’en comprendre le sens. Tandis que douze ans après, avec les travaux de Borel et de Lebesgue, l’invention d’une nouvelle théorie de la mesure a permis d’incorporer dans l’ensemble la démonstration de Poincaré. Carathéodory conclut sa note, en précisant qu’il est désormais possible d’avoir une démonstration plus simple du théorème du retour. Seulement il faut examiner la référence pour découvrir ce que cache sa légendaire modestie. En effet la nouvelle démonstration est de Carathéodory lui-même ! Et voici la référence exacte : Über den Wiederkehrsatz von Poincaré (Sitzber. Berl. Akad. 1919, p 580).
Cet exemple est dans son ensemble tout à fait révélateur du véritable travail de propagande – dans le sens positif du terme bien évidemment – pour faire connaître l’ampleur et la profondeur de l’intégrale de Lebesgue à l’ensemble de la communauté mathématique de son époque. Et encore de nos jours, si celle-ci est si connue, c’est entre autres grâce à son œuvre.