3208 - Le matin du monde

N. Lygeros

    – Grand-père, pourquoi es-tu si jeune ?

    – Car je choisis les morceaux de temps dans lesquels je veux vivre.

    – Ils sont donc si rares ?

    – Ce sont les hommes qui sont rares.

    – Sont-ils tous dans cette pièce ?

    – Non, il en existe d’autres, ailleurs.

    – Tu vivras là-bas aussi.

    – Non, là-bas, j’irai pour mourir.

    – Tu as si peu de temps à vivre ?

    – Ce n’est pas une question de temps, juste de durée de vie.

    – Et le maître du temps, il ne peut rien pour toi ?

    – Il peut beaucoup.

    – Alors demande-lui de t’aider.

    – Cette fois, c’est nous qui devons l’aider à aider. Seul il ne le pourra pas.

La petite fille embrassa comme elle put le disciple du chevalier sans armure. Le vieil érudit eut de la peine pour elle. Cependant, elle ne cessait de le surprendre car tout cela lui semblait parfaitement cohérent et compréhensible. Qu’il était difficile pour un savant d’avoir l’ouverture d’esprit d’un enfant ! Elle s’approcha de lui et lui dit à l’oreille qu’il ne fallait pas avoir de la peine. Elle était heureuse d’être avec son grand-père. Il lui sourit et lui fit comprendre qu’il n’aurait plus de la peine.

    – Avez-vous des cartes d’orient ?

    – Oui, bien sûr dans l’armoire.

Le vénitien ouvrit les battants et contempla la richesse de la collection. Ils n’avaient que l’embarras du choix. Il en prit une et la déposa sur la table de travail. Le vieil érudit ne put s’empêcher de poser sa question.

    – Pourquoi l’orient ?

    – La petite…

Puisque c’était elle qui était venue dans la crypte, ce serait en orient qu’aurait lieu la guerre sans nom. Ainsi même la rencontre avec la petite fille avait été prévue. Celle-ci s’approcha de la carte et la regarda fixement. Elle posa son doigt sur un point que le vieil érudit connaissait bien. Cependant cela ne changea en rien sa surprise. Comment cette petite fille savait-elle tant de choses ?

    – C’est ici que se trouve le maître.

    – En êtes-vous certains ?

    – Parfaitement.

    – Devons-nous partir sur le champ ?

    – Vous restez ici avec la petite !

    – Vous reviendrez, n’est-ce pas ? dit-il sans conviction.

    Et leur silence fut l’unique réponse.