3102 - Humanitas et Tempus IV

N. Lygeros

Si les génies sont des singularités dans l’espace cognitif de l’humanité alors les génies universels sont des anomalies, au sens mathématique du terme. C’est pour cette raison que même si les sociétés font semblant de les admirer via un consensus universel, elles les préfèrent morts. En d’autres termes, chaque société accepte l’existence du génie universel mais dans une autre société. En son propre sein, elle le considère comme un élément qui engendre une si grande perturbation cognitive qu’il en résulte une instabilité sociale. Si les sociétés craignent tant les génies universels, c’est que ces derniers sont les stylobates de l’humanité. Chacun d’entre eux a eu un tel impact sur l’humanité que son existence via son œuvre a créé un avant et un après dans l’espace temporel. Or cette rupture est tout simplement inadmissible pour la société. Elle crée une fonction de Heaviside qui rend asymétrique le temps et ce même au niveau local. Aussi la société ne peut plus prétendre que le présent est immuable. Elle doit accepter son échec. C’est pour cette raison qu’elle tente sans cesse d’éliminer toute possibilité d’apparition d’un génie universel en son sein. Elle est capable de gérer des éléments qui ne sont que surdoués car elle peut les transformer en individus normaux. Elle les guérit à sa manière. Elle supporte moins bien la présence des génies. Cependant là aussi elle a une solution naturelle pour la masse. Il suffit de les considérer comme des gens talentueux. Ce qui signifie pour la société, qu’ils sont peut-être exceptionnels dans un domaine mais que ce dernier est si pointu qu’il n’a pas de répercussions sur son équilibre. Elle met également en évidence, que ces gens sont au plus, normaux dans les autres domaines. Ce ne sont donc que des perturbations locales alors que les génies universels sont des perturbations globales par définition. Leurs talents sont si multiples et si évidents qu’ils en sont insupportables pour la société. Elle ne peut se contenter de les mettre à l’écart car leur présence même influence l’humanité et par conséquent des éléments de la société par contrecoup. Aussi une des attaques caractéristiques de la société c’est de minimiser l’impact du génie universel en explicitant à la masse qu’il ne s’agit que d’un génie et que ce dernier est aussi très proche de la folie. Ce sont donc des désaxés dont il faut se méfier. Ce type d’attaque a été très efficace contre Leonardo da Vinci qui a dû attendre bien des années et parfois des siècles pour influencer pleinement et librement l’évolution de l’humanité. Tandis qu’avec Archimède la solution a été plus radicale. Néanmoins l’impact produit par l’apport que constitue leur œuvre, a transcendé les limites de leur société. Car le propre du génie universel c’est aussi de montrer les limites de la société. C’est ainsi qu’il montre son humanité.