299 - Sur la nature holistique de la mémoire

N. Lygeros

Il est difficile de réaliser la puissance de l’émotion que la mémoire engendre par sa seule présence. Pourtant quoi de plus naturel pour cette faculté de conserver les états de conscience passés, cet esprit gardien du souvenir du passé. Il est vrai que du point de vue psychologique, la mémoire représente un ensemble de fonctions psychiques qui permet la réalisation du passé en tant que passé. Car pour se souvenir de celui-ci, il est nécessaire de pouvoir séparer du monde, la notion du passé. Du moins, dans une première étape sinon comment penser le souvenir dans la mentalité Zen où seul le présent existe sans passé ni futur… Nous voyons alors que c’est justement la mémoire qui concrétise sur le plan humain l’irréversibilité du temps. Car nous ne pouvons avoir en mémoire le futur même si nous pouvons projeter le passé. Cependant avec la mémoire collective tout devient plus complexe. Car si la mémoire individuelle est effectivement une conservation d’états de conscience passés, il est difficile de transposer cette définition à la mémoire collective. Ainsi la mémoire humaine ne peut être séparée de celle de l’humanité. Elle apparaît plutôt comme un morceau d’humanité ancré dans notre pensée comme nous l’avions déjà mentionné dans un précédent article. En effet, la mémoire ne peut être réduite au souvenir des évènements vécus. A travers sa pensée et ses schémas mentaux l’individu produit un modèle cognitif de cette mémoire étendue. Ainsi la sienne, celle qui lui semble propre au premier abord, est en réalité immergée dans cette mémoire étendue qu’engendre l’humanité dans son ensemble. En considérant cette idée, il est alors possible d’interpréter la conscience comme la réalisation de l’immersion de la mémoire propre dans celle de l’humanité car l’individu ne peut réellement exister, au sens mental du terme, qu’au sein de celle-ci : l’humain est un enfant de l’humanité. Cette position est bien évidemment criticable si nous ne voyons pas ce qu’elle sous-entend.

Il est vrai que l’humanité n’est pas née ex-nihilo et qu’elle s’est construite sur l’ensemble des hommes. Il est donc difficile de la considérer comme antérieure aux hommes si nous ne voulons pas tomber sur un paradoxe. Ce serait pourtant oublier son évolution. Car l’humanité ne s’est pas réalisée d’un seul coup, elle est passée par des phases intermédiaires qui sont celle de la famille, du clan, de la tribu, du village de la contrée, du pays, du monde. De cette manière, à chaque stade de son évolution l’humanité avait déjà une influence sur celle de l’hommme et de sa mémoire ; en raison de la communication qui est nécessaire à l’homme de parole et à l’homme d’écrit. Nous observons donc la disparition du paradoxe synchronique lorsque celui-ci est plongé dans une approche diachronique de la réalité. Le couple humain-humanité à donc évolué en conservant son lien de parenté. De la à dire que la relation mémoire individuelle -mémoire collective il n’y qu’un pas : et pourtant, ce pas est incontestable. Notre mémoire, lorsqu’elle ne concerne pas des événements élémentaires, a elle-même évolué en fonction de notre vision du monde qui dépend elle-même des moyens de communication. Désormais notre mémoire ne peut se réduire à une représentation locale car via un processus de mondialisation et globalisation, ne serait-ce que de la manière la plus élémentaire du point de vue médiologique à savoir à travers la télévision. L’histoire que nous retenons est délocalisée dans le monde même si celle-ci est sporadique et que la partie principale est naturellement constituée par des aspects locaux. Ici, nous avons montré que la notion de mémoire individuelle ne peut se contenter d’une définition indépendante de l’entourage que représente l’humanité, sans faire appel à des cultures dont la tradition engendre naturellement un sens étendue de la mémoire. La mémoire n’acquiert son sens véritable que dans un cadre holistique car toute autre définition ne serait être que partielle et partiale. Nous ne sommmes que des îles dans l’océan de la mémoire : singuliers dans notre isolement, inséparables dans notre essence.