288 - Sur la temporalité du mix stratégique

N. Lygeros

En management, il est convenu de regrouper sous l’expression mix stratégique, l’ensemble des actions qui permettent d’atteindre l’objectif fixé par l’entreprise. En général, ces actions sont le résultat des décisions prises par la direction dans le domaine des stratégies de compétitivité, d’allocation de ressources, de développement mais aussi les modes de développement, les changements structurels, les technologies, la formation et le recrutement. Ces attributions qui semblent couvrir l’ensemble des activités de l’entreprise montrent non seulement l’omniprésence du concept de mix stratégique mais aussi le caractère nécessairement flou de celui-ci. Une trop grande précision dans sa définition aurait pour conséquence de l’invalider dans certaines conditions. Aussi cette expression est plutôt un fourre-tout qui contient tout ce qui est permis à une entreprise pour atteindre ses buts.
Cependant, ce serait une erreur que de réduire le concept de mix stratégique à cet ensemble de méthodes. Car tout comme pour son cousin, le mix marketing, l’élément fondamental de ce concept est sa cohérence interne. En principe, il ne contient donc pas de méthodes incompatibles. Et les méthodes qui le constituent doivent converger vers un même but. En d’autres termes, le mix stratégique est un ensemble cohérent de méthodes convergentes. Afin de mettre en évidence ce concept tout en montrant la difficulté de sa mise en place nous allons l’illustrer par un exemple générique tiré du jeu d’échecs ou plutôt d’une variante non canonique de celui-ci. Nous le devons à notre ami, John Martinez.
Sur un échiquier, nous disposons d’un fou qui aura les mouvements classiques du fou échiquéen, exceptée la prise et de quatre pions adverses dont les règles de mouvement auront subi la modification suivante, à savoir : mouvement uniquement en diagonale comme s’il s’agissait d’une prise. Le jeu consiste donc pour le fou à atteindre le camp adverse (dernière ligne) et pour les pions d’immobiliser le fou. Pour transposer notre exemple dans le cadre de notre article, nous prenons le camp des pions. Chacun d’entre eux représente une action, une méthode. Chacune de celle-ci ne présente séparément aucune difficulté et même certains coups sont forcés en raison des mouvements du fou. Enfin, il est possible de démontrer qu’il existe une stratégie gagnante basée sur la cohérence des actions. Cependant, celle-ci est difficile à mettre en place et le moindre faux pas entraîne la perte.
L’exemple précédent représente un jeu qualifié de positionnel. Il existe pourtant d’autres stratégies nécessaires pour atteindre l’objectif fixé. Ce sont celles qui sont basées sur la notion de combinaison. Une première définition de celle-ci est due à Romanovski. Selon lui, la combinaison est une variante (ou un ensemble de variantes) durant laquelle les deux adversaires jouent des coups forcés ; elle se termine avec un avantage objectif pour l’auteur de la combinaison. Par la suite, Botvinik remarqua que cette définition était plus adéquate au jeu positionnel et il proposa la suivante. La combinaison est une variante forcée avec un sacrifice. Cependant Steiner, dans les champs de la force, a mis en évidence le caractère subjectif et historique des notions telles que l’avantage et le sacrifice. Ainsi, la stratégie est nécessairement ancrée dans le temps et sa valeur ne saurait être que temporelle.
A travers ces exemples échiquéens, nécessairement extrêmes, nous avons mis en évidence la temporalité du mix stratégique ; caractéristique qui n’est pas explicite dans sa définition classique. En raison de celle-ci, l’entreprise ne doit effectuer ses choix stratégiques qu’en fonction du temps. La réussite du mix stratégique ne dépend donc pas seulement de la cohérence des méthodes et de la convergence de celles-ci mais de leur adéquation en termes temporels. Car les variables stratégiques sont à paramètre temporel. Ainsi quelque soit le choix, une chose est certaine : tout est une question de temps.