271 - Réflexions sur les notions de sacrifice et de résistance

N. Lygeros

Le cadre de notre étude des notions de résistance et de sacrifice est celui de la recherche des éléments universaux. Aussi nous nous intéresserons uniquement à leurs caractéristiques génériques. Historiquement ces deux notions sont intimement liées dans de nombreux endroits de la planète. Cependant notre point de vue est autre, ni historique ni sociologique. Nous interprétons cette constatation comme l’émergence phénoménologique d’un schéma mental plus profond.
L’homme en tant qu’en être humain est un sujet de puissance. A travers celle-ci il exprime son existence au sein des objets. En les touchant, en les déplaçant, puis par la suite en construisant ou en détruisant, il s’affirme en tant que possesseur de ceux-ci. Cette intervention dans la nature, cette prise de possession peut naturellement le conduire à une concurrence de points de vue et à un affrontement physique. Se crée alors la relation d’inégalité “dominant-dominé” qui n’est pas nécessairement définitive dans le temps. D’ailleurs cette instabilité temporelle est elle-même une source de discorde. Le combat qui peut en résulter mène de manière plus ou moins nécessaire surtout suivant le statut du sujet concerné à la nécessité de formation d’un groupe qui va se rallier à cause de l’individu ou au moins avoir des objectifs convergents.

Le groupe, une fois formé, acquiert lui-même ses propres prétentions. Ne représentant plus un simple ensemble d’individus en raison de sa structure qui peut aller de la simple organisation des taches à une véritable hiérarchie, adopte un point de vue différent quant à la notion de territoire. Celui-ci ne représente plus un simple espace vital mais représente par ses dimensions et ses caractéristiques, un symbole de la puissance du groupe dans son ensemble. Il est source d’une réalisation de son identité. Le pouvoir est désormais possession. Et plus grande sera cette dernière, plus grand sera celui-ci.

Les contingences matérielles du groupe ou parfois son désir de possession engendre une généralisation de la relation d’inégalité “dominant-dominé” en “oppresseur-oppressé”. La prise de possession d’un territoire de l’ennemi assure à son nouveau détenteur un renforcement de son statut. Si cette prise est accompagnée d’un “génocide” voire d’une “extermination” de l’ennemi alors elle constitue un simple agrandissement territorial. Par contre si la population occupée parvient à survivre à cette invasion, nous observons l’apparition du phénomène de résistance.

Les causes d’apparition de la résistance de l’oppressé face à l’oppresseur sont multifactorielles et notre but n’est pas de les analyser. Au contraire nous les interprètons de manière globale comme la réalisation concrète d’un facteur abstrait qui provient de la relation d’inégalité et de la dynamique de l’équilibre autrement dit une hystérésis comportementale. La mémoire de l’individu et plus généralement celle du groupe qui semble inerte au premier abord, en tout cas passive, via la relation d’inégalité acquiert un statut dynamique.

La résistance apparaît donc comme un phénomène temporel global dans un contexte géopolitique. Elle correspond à l’affrontement des valeurs du passé avec celles du présent. La mentalité d’un individu, du groupe en général résiste au courant de l’envahisseur. Pourtant cette résistance même si elle peut représenter dans un premier temps une volonté de retour aux sources via le caractère irréversible de l’occupation, est elle-même une source de changement ultérieur. Elle participe donc elle aussi à l’évolution du groupe dans son ensemble.

Dans ce cadre, il est à présent plus facile de saisir la notion de sacrifice. Celui qui appartient à l’ensemble des moyens dont dispose la résistance. Cependant son caractère altruiste lui confère un statut particulier. Il provient tout d’abord d’une conscience aiguë aussi bien de la notion de groupe que de celle de résistance. De plus, son caractère nécessaire est suffisamment intense pour engendrer sa réalisation dans un contexte extrême. Le sacrifice est interprétable en cela comme un effet de bord de la résistance. Il peut être tout aussi bien le point initial qui peut être sa cause génératrice que le point terminal qui est la conscience du groupe. Il crée alors par cette différenciation les statuts de héros et de martyr si fondamentaux dans la culture d’un groupe et plus généralement d’une nation.

Ces deux notions de résistance et de sacrifice apparaissent donc comme des phénomènes dus à la dynamique de la mémoire face à la relation d’inégalité généralisée “oppresseur-oppressé” et constituent par ce biais en tant qu’effet et effet de bord la réalisation d’un schéma mental qui dépend de la configuration noétique des individus concernés : la résistance temporelle face à l’occupation spatiale.