2276 - Leonardo da Vinci et la polémique du paysage

N. Lygeros

De nos jours il est difficile de réaliser l’apport de Leonardo da Vinci dans le domaine paysager. Pourtant il suffit d’examiner la peinture byzantine pour constater la différence radicale. L’absence de traitement particulier sur le paysage par les peintres des époques antérieures s’explique par le contexte religieux. L’artiste peintre se devait de mettre en valeur la figure du saint, aussi tout le reste n’avait aucune importance. Les premiers changements véritables s’effectuent à la Renaissance mais ils ne sont que timides dans le sens où le paysage est avant tout un décor artificiel qui est plaqué sur la réalité du personnage traité. Puis peu à peu en raison aussi de la taille des fresques, le paysage a pris de l’importance sans pour autant acquérir de la grandeur. C’est Leonardo da Vinci qui met le premier en place l’idée que le paysage peut raconter l’histoire du personnage. Pour comprendre combien il est hors cadre par rapport à ses collègues, il suffit de lire les notes qui suivent.

«Celui qui n’aime pas également tout ce qui appartient à la peinture n’est pas universel. Si par exemple le paysage ne l’attire pas, il dira que c’est une chose simple et facile à comprendre ; ainsi notre Botticelli disait que c’était une étude vaine, car il suffisait de jeter une éponge imbibée de diverses couleurs sur un mur pour qu’elle y laisse une tache où l’on pouvait voir un beau paysage. […] »

Nous voyons que l’argument utilisé par Botticelli est sommaire même s’il s’appuie sur l’imagination. Il aborde le problème du paysage comme une simple représentation mentale qui ne nécessite pas de technique particulière.

« Il est bien vrai qu’on peut voir dans une telle tache différentes compositions de choses que l’on veut y chercher, têtes humaines, animaux divers, batailles, écueils, mers, nuages, bois, etc. ; […] »

Leonardo da Vinci semble accepter l’étendue de l’argument mais ce n’est que pour montrer le ridicule de la chose comme le démontre la suite.

« […] c’est comme le son des cloches, dans lequel tu peux entendre ce que tu veux. Mais bien que ces taches te fournissent l’invention, elles ne t’enseignent à achever aucun détail. Et ledit peintre a fait de très pauvres paysages. »

La critique est sans appel mais elle n’est pas pour autant sévère. L’analyse des paysages de Botticelli va dans le même sens. D’ailleurs la réalisation n’est que le résultat de la mentalité. L’abord est sommaire car il n’est pas recherché. Tandis que Leonardo da Vinci via le paysage veut non seulement créer un modèle réaliste du monde mais il veut surtout que le tableau soit un univers à part entière. C’est pour cette raison que la contemplation des tableaux de Leonardo da Vinci ne suffit pas. Il faut les étudier afin de comprendre le fonctionnement intense de sa peinture. Grâce au paysage il utilise un jeu de miroirs complexe qui crée un véritable dialogue entre les éléments du tableau. Comme nous l’avons déjà signalé dans une étude précédente, les détails de Leonardo da Vinci sont des indices qu’il nous faut maîtriser par l’étude si nous désirons réellement comprendre son approche du monde et son rôle en tant que créateur d’univers clos.