2218 - Sur la dichotomie de Zénon d’ Élée

N. Lygeros

Dans la Physique d’Aristote (VI, IX, 239, b9) nous trouvons le passage suivant :

τέτταρες δ’εισίν οι λόγοι περί κινήσεως Ζήνωνος

οι παρέχοντες τας δυσκολίας τοις λύουσιν,

πρώτος μεν ο περί του μή κινείσθαι

διά το πρότερον εις το ήμισυ δειν αφικέσθαι

το φερόμενον ή προς το τέλος, περί ου

διείλομεν εν τοις πρότερον λόγοις

Le début est une introduction qui mentionne que les arguments de Zénon contre le mouvement sont au nombre de quatre. La suite décrit l’argument de Zénon qui exploite le principe de dichotomie, après avoir précisé que la résolution de ces problèmes est difficile. Plus précisément Aristote écrit : Il n’existe pas de mouvement car un mobile doit parvenir à la moitié du chemin avant d’atteindre la fin. Et si nous employons cet argument de manière récursive nous voyons que le mouvement ne peut commencer car le mobile doit passer par une infinité de points avant de toucher le but fixé. Il est vrai qu’il est facile d’interpréter maladroitement cet argument et de dire que les anciens ne connaissant pas qu’il est possible d’obtenir un résultat fini même si nous sommons une infinité de termes, aussi ils ne peuvent résoudre ce paradoxe. En vérité comme l’a judicieusement remarqué Michel Fréchet, agir et penser de cette manière consiste à lire à l’envers l’expression de l’énoncé de Zénon d’ Élée . Tout d’abord Zénon d’ Élée n’a jamais nié le mouvement en tant que phénomène. Sa critique porte sur le modèle continuiste du mouvement. Aussi il n’est pas judicieux de se lancer dans une analyse sophistiquée et sophiste de son argument pour le contrer. Le problème se situe véritablement sur la notion de modélisation mathématique du phénomène physique. Malheureusement d’autres commentateurs et non des moindres se sont fourvoyés en pensant que la critique de fond de Zénon d’ Élée concernait la physique. Or ce n’est pas le cas. Le problème provient des propriétés strictement mathématiques du modèle. Nous sommes dans une situation analogue à celle du paradoxe de Banach-Tarski qui remet en cause via l’axiome du choix, le modèle mathématique réel (à savoir l’utilisation de ) de la matière. L ‘argument de Zénon d’ Élée remet en cause l’utilisation de la droite réelle comme modèle du phénomène physique. Mais Zénon d’ Élée ne se concentre pas sur le phénomène physique, uniquement sur une propriété mathématique et c’est seulement celle-ci qu’il dénonce. Pour notre part le problème est entièrement d’ordre mathématique et il concerne la problématique du successeur dans l’ensemble des réels. En réalité pour être encore plus précis nous n’avons besoin que d’un sous-ensemble de l’ensemble des rationnels pour montrer la véritable nature du problème. De manière plus cognitive nous avons le problème de l’inverse dans une limite de suite. Si la suite admet une limite alors la question isomorphe à celle que pose Zénon d’ Élée, est la suivante : quel est le terme qui précède l’atteinte de la limite. Ou pour remettre le terme de succession dans une formulation plus provocatrice : quel est le plus petit nombre réel qui soit strictement supérieur à zéro. La réponse est simple mais non simpliste. Elle n’existe pas. Et c’est cela la base fondatrice de l’argument de Zénon d’ Élée.