2070 - La petite carte

N. Lygeros

Bien souvent, il est difficile de donner de la valeur aux choses sans les perdre auparavant. Et malheureusement il en est ainsi de l’imaginaire. Seulement comment expliquer l’arrivée d’une carte sans expéditeur, ni destinataire. Cette carte avait dû se perdre car l’enfant avait oublié de mettre l’adresse. Emporté par son élan, il avait écrit sur toute la carte. Il voulait la remplir de mots car ils débordaient de sa tête. Mais il devait respecter la consigne. Il ne pouvait utiliser qu’une seule carte. Il n’y avait pas de hasard. Alors il écrivait de la plus petite taille qu’il put. Et comme il ne savait pas encore qu’il existait une société sans hommes, il s’était contenté d’être humain. Il n’avait pas touché au timbre, car il aimait sa couleur et ses dents blanches mais il avait noirci le reste de la petite carte. Comme il ne voulait pas qu’elle fut lu par quelqu’un d’autre que son grand-père, il était allé lui-même jusqu’à l’immense boîte aux lettres. Et quand il réussit enfin à la faire passer par la fente muette, il ne put s’empêcher de donner une petite tape amicale à la boîte. Il savait que celle-ci n’avait pas de mouton à l’intérieur. La carte voyagea durant des jours et de jours avant d’atteindre le pays où l’on n’arrive jamais. Il faut dire que le facteur était un ami du grand-père. Ils avaient bien ri ensemble en remarquant l’absence d’adresse sur la petite carte mais ils ne lui avaient rien dit ; Ce n’est que des années après la mort du grand-père que le petit comprit que c’était l’humanité qui avait transporté sa petite carte.