2032 - Le rêve d’Achille

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

Alexandre : L’autre est revenu.

Achille : Je le sais. Je te l’ai envoyé.

Alexandre : Mais pourquoi ? Silence. La prison ne te suffit pas ?

Achille : Avant je ne savais pas ce qu’est la liberté.

Alexandre : Et maintenant que tu sais, tu perds ton temps avec moi.

Achille : Maintenant je sais que tu appartiens à mon temps. Un temps. Et il faut que j’écrive pour toi.

Alexandre : Pour moi ou pour ma correspondance oubliée ?

Achille : N’est-ce pas pareil ?

Alexandre : Je ne sais pas. Un temps. Peut-être qu’à la longue c’est devenu pareil.

Achille : Chacune de tes lettres est un morceau de vie.

Alexandre : Seulement maintenant ils ont morcelé ma vie… Qu’attends-tu de moi ?

Achille : C’est seulement avec des morceaux du passé qu’on crée l’avenir.

Alexandre : Tu as vécu si longtemps !

Achille : Et tant de paroles sont mortes… J’ai lu ce que tu as fait pour notre poste.

Alexandre : Tu seras le seul…

Achille : Non, il y a l’autre.

Alexandre : A Samos, les choses étaient difficiles. Tu ne peux imaginer par quelles ruses nous avons résisté aux mouvements de la bureaucratie de l’autocratie.

Achille : Heureusement que tu avais Stéphanos.

Alexandre : L’Hégémonie lui doit beaucoup.

Achille : Quand je lis la correspondance, j’ai l’impression que toute l’Hégémonie c’était seulement deux hommes et deux seulement.

Alexandre : Vous n’étiez pas deux toi aussi ?

Achille : Tu as raison.

Alexandre : Nous sommes toujours seuls… Un temps. Mais quand nous trouvons l’autre, nous sommes assez pour l’œuvre.

Achille : Les nôtres sont toujours peu nombreux.

Alexandre : Quand ils deviennent nombreux, il ne faut pas se fier à eux.

Achille : Remarque ?

Alexandre : Conseil.

Achille : J’ai reçu le message.

Alexandre : Bien. Un temps. Car tu connais.

Achille : Quelle chose ?

Alexandre : Ces conseils que nous ne donnons qu’une fois.

Achille : Qu’arrive-t-il la deuxième ?

Alexandre : Tu es mort après la première.

Achille : J’essaierai de ne pas mourir.

Alexandre : Si tu meurs toi aussi, il faut que je meure une deuxième fois.

Achille : Je sais, l’autre me l’a dit. Silence.

Giannis : C’est cela que tu as rêvé ?

Achille : C’est du moins ce dont je me souviens.

Giannis : C’est suffisant.

Achille : A quoi fais-tu allusion ?

Giannis : Alexandre te donne des conseils doubles.

Achille : En prison on entend seulement un conseil.

Giannis : Alors tu sais ce que tu dois faire…

Achille : Oui. Un temps. M’évader !