2023 - L’inhumanité de l’humanité

N. Lygeros

Un des problèmes fondamentaux de la lutte pour la reconnaissance du génocide, c’est la difficulté de la part de la société de la comprendre. Cette difficulté ne provient pas nécessairement de l’indifférence sociale mais surtout de l’incapacité de souffrir de manière massive. En effet combien de morts peut supporter un être humain normalement constitué ? En réalité, au delà de quelques-uns cela devient insupportable. Ce phénomène a été étudié à l’occasion de massacres collectifs. Au délà d’un certain nombre, l’individu ne peut plus souffrir. Comme s’il existait un seuil de douleur mentale. Alors quid des situations comme les génocides ? Que peut faire, en matière de douleur, un être humain normalement constitué ? La réponse est aisée : pour ainsi dire rien. Aussi il est nécessaire de développer une véritable stratégie humaine pour pouvoir lutter pour la dignité humaine. Les survivants du génocide ont cette capacité car ils ont traversé la mort. Les justes la développent par nécessité. Dans les deux cas cette capacité semble inhumaine pour un être humain normalement constitué. Pour l’expliquer il faut aborder le problème de l’humanité elle-même. Celle-ci semble impossible après un génocide et pourtant elle existe. Comment expliquer ce phénomène ? Sans doute par le développement de l’empathie. Sans celle-ci l’être humain n’est pas capable de comprendre la souffrance des autres et par conséquent souffrir. Sous prétexte d’être humain, il ne peut souffrir que superficiellement. Il lui faut cette empathie qui le rend pour ainsi dire inhumain afin d’être plus humain et sans doute trop humain pour un individu social. L’absence d’une masse importante de combattants de la paix s’explique, entre autres, de cette manière. Aussi il n’est pas nécessaire de promouvoir une certaine forme de prosélytisme. L’important c’est que la reconnaissance du génocide soit effectuée et peu importe le nombre de personnes associées à cette reconnaissance. Ce qui est par contre nécessaire, c’est l’organisation de cet effort humain. Celle-ci n’est pas évidente car la problématique comporte des éléments strictement sentimentaux et ceux-ci créent des obstacles logistiques. En réalité, dans le cas d’un génocide, il est primordial d’intégrer ces sentiments et de les conceptualiser afin qu’ils deviennent des substrats productifs et efficaces. Sans cela, ils ne sont que des notes sans partition. Les cris n’ont aucun sens pour des individus qui ne peuvent souffrir mais la musique peut leur apprendre à le faire. La musique, du moins celle qui concerne un génocide, n’est pas autre chose qu’un assemblage des cris des innocents. Pourtant en rendant ces sons inhumains, elle est capable de toucher bien plus de personnes. Car ces dernières ne sont pas censées savoir le contenu de son substrat. En d’autres termes, sa capacité de faire la synthèse des émotions, la rend beaucoup plus efficace. Malgré cela, elle devra toujours subir la critique, d’être d’une certaine manière inhumaine car elle est trop humaine. Il en est de même pour les guerriers de la paix, l’organisation même de la lutte, les rend quelque peu incompréhensbles mais cela ne peut remettre en cause la nécessité de leur rôle.