163 - Analyse structurelle du texte Tania Tania d’Olga Mouknina et de la mise en scène de Sergeï Isaev

N. Lygeros

Le texte, en tant que matériau, est conçu sur la thématique de l’amour avec toutes les incohérences que ce dernier peut porter en lui. L’écriture quant à elle exploite le mode de la composition musicale : les mots sont des notes sur l’amour. Nous y trouvons plusieurs lignes mélodiques qui, suivant le principe du dodécaphonisme, se croisent sans se dominer à l’instar de la technique du roman développé par Kundera.Cette écriture musicale qui reprend avec insistance le principe du leitmotiv, tente de nous faire découvrir la relativité des mots à l’image des notes qui prennent un sens nouveau suivant l’instrument qui les interprète : comme s’ils n’avaient de sens en eux mêmes. Ainsi ils deviennent de simples lettres dont la combinaison seule fait émerger le sens. Chaque personnage de la pièce les manipule et les soumet à sa propre personnalité afin d’exprimer sa nouvelle façon de penser et d’aborder l’amour et la vie.Cette recherche syntaxique est légère et parfois touche à la frivolité car elle se confine dans une technique théâtrale sans atteindre les profondeurs de l’âme humaine. Cet assemblage de mots ressemble à s’y méprendre à un miroir dont la nature autoréférente ne lui permet pas de réfléchir mais seulement de réfléchir ce qu’il reçoit. Et le medium cherchant à prouver son existence, finit par oublier que sa nature consiste à communiquer une pensée : le contenant se veut contenu et en perd son sens.La mise en scène frappe le spectateur dès les premiers instants par l’originalité de sa présence spatiale sur la scène. Les déplacements démontrent une habileté gestuelle dans la maîtrise de l’espace et du temps : une omniscience de l’espace des phases. L’omniprésence des gestes et des mouvements est si parfaite qu’elle nous permet de percevoir l’ubiquité de l’expression théâtrale.Alors que le texte exploite la musique, la mise en scène s’appuie sur la danse pour exprimer l’émotion, l’attirance et la puissance des désirs. Comme si le metteur en scène, conscient du code que représente la danse en tant que rituel social toléré de l’amour aliénait sa nature pour mieux la transcender. Avec lui, la musicalité et la codification des mouvements ne sont plus des accessoires du théâtre mais de véritables phares qui éclairent le texte dont les illusions perdues deviennent alors autant d’instants d’illumination dans l’étrange obscurité des désirs humains.