162 - Traduction du recueil : La philosophie des fleurs de Nikiforos Vrettakos

N. Lygeros

NOTES DE JOURNAL

… La présence des fleurs était un
réconfort ; une partie du
réconfort que j’ai reçu dans ce monde.
Je dois les consigner dans la liste de
mes amis…

“AMOUR”

Je laisse ouverte la page
d’Homère, je me lève, je sors,
pour jeter un regard
sur les autres livres.

En face de moi j’épèle
un mot-ordre.

La pente

est toute blanche.

Les petites marguerites
une tablette verticale
descendue par le mois de Mai
du mont Sinaï.

QUESTION-REPONSE

La beauté n’est pas silence.
C’est pourquoi ma voix
n’est pas un monologue.

La fleur du grenadier,
par exemple,
est un chef d’oeuvre
que
le jour récite.

Je vois, j’entends
des lumières de voix.

C’est pourquoi vous me voyez
marchant (et même
dans le désert)
m’incliner souvent.

EMBARRAS MATINAL

Le sol ondule autour
de mes pieds. Les fleurs sauvages
dans leur multitude, me font obstacle,
me barrent la route
m’empêchent de passer.
Je me sens embarrassé.
J’ai l’impression que m’entourent des milliers
de jolis petits poèmes.

Étudiant toute ma
vie la perfection,
je pense immobile
à la modicité de mes vers.

LA PAROLE

Je n’ai pas eu besoin de me tenir sous
la Chaire pour entendre
Jean. J’ai vu la diaphane
fleur d’oranger, la fleur d’arbousier
qui penchée, ruisselait de lumière ou la sauvage
fleur, dans la fissure de la pierre,
que nul Oppenheimer
ne pourrait réaliser.

Et j’ai vu tous les yeux, de ceux
de l’enfant à ceux de la plus petite
libellule de mon jardin,
pleins de ciel : J’ai vu la Parole.

RESPECT

Bien que mes mains fussent
propres, je les ai relavées
aujourd’hui à la source de Tripodas
pour qu’elles soient encore plus propres
car
ensuite elles vont cueillir
une fleur.

LA TAILLE

Sur le bord d’un grain de sable
tournant de l’univers
même une immense montagne
n’est rien.
Mais
la taille de tous les êtres
d’ici, se trouve en leur sein. Dans
chaque fleur de la terre
il existe un Everest.

LE POULS

Le matin, avant que le soleil n’arrive jusqu’ici
tandis qu’il dépose encore sa bénédiction
d’or sur les cimes des montagnes,
je descends au jardin. Je me penche sur
mon rosier blanc
et le jaune, je me penche sur
mon rouge et mon blanc
géranium.
Et quelque soit
la tige que je prenne (comme si
Dieu m’avait tendu sa main)
j’entends son pouls.

MEDITATION

Que signifie “mourir” ?
Quand je partirai, je sais
je m’unirai à Dieu.
En d’autres termes je vais renforcer
la lumière qui existe
dans les fleurs.

PLATEAU FLEURI

Si ce n’est pas le déluge
des forces du ciel
que sont alors
ces fleurs ?

REPOS

Les fleurs quand j’étais
fatigué me procuraient
du silence pour me reposer.
Tellement, qu’il ne leur échappait
un son jusqu’au matin.

Et même à l’univers
avec ses étoiles flottantes
le silence avait
(phénomène rare)
clos les lèvres.

Et ma mère retira
sa voix qui est,
même à présent que j’ai vieilli,
une musique douce
et continue :

“Dors, mon enfant”.

ILLUSTRE TEMOIGNAGE

Et même si je ne le savais pas (si
il était invisible pour moi)
il me suffirait d’une seule
fleur
pour deviner l’existence
d’un soleil
en haut dans le firmament.

ACCUEIL

En marchant sur les pointes,
quand je suis revenu il faisait
nuit, j’ai ouvert, j’ai fermé,
je suis rentré dans la maison,
sans que les fleurs ne s’en
rendent compte
pour me jouer un air
sur leurs feuilles
comme
elles l’ont toujours fait.

Mais le lendemain
tout se réalisa, après
mon pardon, quand
en sortant dehors
j’ai jeté sur elle
un sourire
comme une lumière d’en haut.

J’AI PARLE

J’ai beaucoup parlé avec moi-même,
avec les autres et même avec les choses.
C’est seulement avec Dieu lui-même
que je n’ai pas eu l’occasion d’échanger de propos.
C’est pourquoi, peut-être, c’est bien peu
qu’il doit savoir de moi. Il s’est contenté de ce
que lui ont transmis ses fleurs.

DISCOURS SUR LA MONTAGNE

La rose blanche penchait
sa tête, comme celle de Jésus.
En trois jours seulement, elle dit
et proclama ; elle fit de même
son devoir dans ce monde.
(chaque fleur est
aussi un Jésus).

SEMINAIRE

Si l’on me voyait me tenir
debout, immobile, au milieu
de mes fleurs, comme
en ce moment,
on croirait que
je leur enseigne. Alors
que c’est moi qui les écoute
et elles qui parlent.

En m’ayant en leur milieu
elles m’enseignent la lumière.

LES VISAGES DES FLEURS

Encore une fois aujourd’hui, je me suis
arrêté un grand moment et j’ai regardé
le visage d’une fleur.
J’ai trouvé ses yeux ;
je me suis penché
et j’ai ressenti
de la crainte.

Et je me suis gorgé d’amour
gorgé de respect
gorgé d’humanité.

LES VOIX DES FLEURS

Des voix émergent de leurs tréfonds
elles s’unissent au-dessus d’elles, elles deviennent
un hymne et montent pour atteindre
l’ultime soleil.
Tandis
que d’autres voix descendent
et que le ciel devient
tout entier un “alléluia”.

LES FLEURS PRIENT
POUR LES ENFANTS

Une forêt obscure a émergé
de notre esprit et a recouvert
l’horizon. Seules les sentes
traversent et se perdent dans
la crainte. Pas de futur en vue.

Les enfants courent, dansent sans soupçonner
ce qui se déroule au-dessus d’eux,
tandis que penchées autour
et sous leurs pieds (jusqu’à
entendre la clameur et voir
le nuage) comme une immense
assemblée de fidèles en plein air,
les fleurs prient.

CREATION

Cet oeillet, qu’en tenant
entre mes trois doigts
je lève à la lumière, m’a parlé et
malgré ma pensée limitée, je l’ai compris.
Une chaine de galaxies infinies
ont collaboré, des illuminations
se sont croisées sur la terre – l’univers tout entier
a pris part à la création de cet oeillet.

Et ce que j’entends ce sont les voix
des artisans en son sein.

MOSAÏQUE

Aujourd’hui encore la pente
de la colline est une mosaïque
avec pour tesselles des fleurs.
J’essaie de discerner
où se séparent
les représentations :

Les chevaux qui tournent
leur tête
vers le ciel reniflent
en sortant de la lumière,

les jeunes filles qui courent
et dont les mouchoirs
comme ils sont agités
forment au-dessus d’elles
des ponts de couleurs,
la Vie ! La Vie ! La Vie !
La vie et son Soleil !
La vie et son Soleil !
La vie et son Soleil
qui est la Vie !

Tandis qu’une fleur, marcheuse,
apôtre, à l’écart
des autres, seule, apporte
à l’univers son “salut”.