1596 - Remarque stratégique sur les fleurs d’Arménie

N. Lygeros

Suite à un échange que nous avons eu avec Louise Kiffer qui s’intéresse avec passion et art aux fleurs sauvages nous avons été amené à contacter Jacques Périgaud, spécialiste des floraisons au Musée d’Histoire Naturelle à Paris, à propos de fleurs d’Arménie. Afin que cette introduction ne paraisse point trop incongrue pour des spécialistes de la cause arménienne, nous tenons à signaler qu’elle fait suite à la décision unilatérale de la Turquie de modifier tous les noms scientifiques qui contiennent des références arméniennes.

En réalité, le patrimoine arménien dans ce domaine est doublement en danger. En effet non seulement les appellations sont modifiées de manière à effacer toute trace arménienne, mais de plus certaines fleurs sont en voie de disparition. Ce point de vue est confirmé par le travail d’Anna Asatryan de l’Institut de Botanique d’Erevan. Pour être plus précis, il s’agit d’une part de la Scilla armena, et d’autre part de la Fritillaria armena. Bien sûr, il ne s’agit que de deux exemples qui pourraient sembler superfétatoires dans un autre contexte. Seulement dans le cadre du processus d’effacement qui est planifié par les autorités turques, cette préoccupation est elle aussi une forme de résistance. Nous pourrions considérer que ceci n’a pas d’importance, surtout si nous ne nous intéressons pas à ce domaine. Cependant l’activisme planifié de l’ennemi est là pour nous rappeler que, même ce que nous considérons comme des détails, peut être une source d’ennuis pour une politique de l’effacement.
Il n’est sans doute pas important non plus qu’un fruit comme l’abricot soit originaire de l’Arménie, qu’il ait été rapporté par Alexandre le Grand et qu’il ait été connu dans toute l’Europe grâce aux Romains. Seulement cela aussi fait partie du patrimoine arménien et, par la suite, européen. Et c’est pour cette raison que tout cela doit disparaître pour les autres et être conservé et sauvegardé par nous. Et il en est de même pour le blé de l’Ararat, le Triticum Araraticum puisqu’il a une valeur historique dans le domaine des céréales et de leur évolution.

Du point de vue stratégique, les détails sont des indices. Si nous les considérons comme des détails, ils ne le demeurent pas pour autant, car ils peuvent aussi devenir des causes de notre échec. Si nous les considérons comme des indices, alors ils sont susceptibles de devenir des éléments d’une tactique, d’une stratégie et même d’une résistance.

Toute la richesse de l’Arménie n’est pas seulement concentrée dans la centaine de milliers de lys et de roses qu’elle écoule sur le marché russe. La richesse de la flore provient avant tout de la diversité et de la rareté.

Dans le domaine géostratégique, le problème arménien est semblable aux fleurs sauvages, car le peuple arménien ne peut peser de la même manière que d’autres en raison de son faible nombre. Aussi, même la cause est parfois considérée comme un détail. Seulement la série de reconnaissances du génocide a grandement mis à mal ce point de vue.

En stratégie, tout est important car tout peut devenir important via un nouveau contexte. Les fleurs d’Arménie sont révélatrices d’un schéma mental de la résistance. C’est à celui-ci que nous devons penser en les examinant.