1578 - Reconnaissance et remémorisation

N. Lygeros

Désormais nous avons une tendance naturelle à considérer la reconnaissance du génocide des Arméniens comme une procédure technique, pourtant celle-ci ne peut être réduite à cela. En effet la reconnaissance du génocide est bien plus qu’une liste d’états ayant accepté l’existence du génocide et la nécessité de condamner la Turquie, non seulement pour les actes commis dans le passé mais aussi ceux qu’elle met en place actuellement. La reconnaissance du génocide est avant tout une lutte contre l’oubli. Elle ne représente pas seulement une résistance de la mémoire mais un véritable travail de reconstruction, de remémorisation. Comme cela a été décrit par de nombreux auteurs arméniens, le génocide n’a pas seulement été une perte humaine ; tout un pan de la culture arménienne a disparu. La Turquie désire que cette perte soit fatale et nous devons prouver le contraire. Le génocide est certes une blessure et même une blessure ouverte, mais non une mort pour la mémoire du peuple arménien. À travers la reconnaissance le peuple arménien qui a tant souffert, se restructure via sa résistance et sa recherche du passé. De victime, il est devenu témoin et de témoin, résistant. La Turquie a voulu et veut briser la chaîne séculaire du patrimoine arménien et elle doit désormais affronter la justice de ce siècle. Car ce siècle condamnera le bras séculier du siècle précédent. Pour cela, nous devons rechercher tous les documents qui attestent de la continuation de l’histoire arménienne. Nous devons interpréter le génocide non pas comme une fin en soi ainsi que le désire la Turquie mais comme un changement de phase qui par son horreur a grandi l’honneur du peuple arménien. Ce dernier sert d’exemple désormais pour tous les peuples qui ont subi un génocide. Il est présent dans nos mémoires malgré tous les efforts des bourreaux. Et il ne cesse de se reconstruire à travers les reconnaissances. Cependant nous ne pouvons en rester là. Nous devons revendiquer notre existence. Tel est le principe que doit suivre le peuple arménien. Pour cela aucun moyen ne doit être délaissé. Tout est utile dans ce travail de remémorisation. Il faut mettre en exergue tous les documents que nous possédons. Car chacun d’entre eux est une preuve. Nous ne pouvons pas nous contenter de mentionner les pertes même si cela est nécessaire. Il faut aussi se battre pour valoriser ce que nous possédons. Chaque famille arménienne détient des objets ou des documents qu’elle juge plus ou moins précieux selon sa capacité à les apprécier objectivement. Mais c’est à l’ensemble de ces familles de s’organiser pour reconstruire l’histoire du peuple arménien pour que les enfants arméniens ne soient pas les enfants de l’oubli mais ceux de la mémoire. Tout ce travail de remémorisation est basé sur un principe simple mais non simpliste : N’est perdu que ce que nous acceptons comme tel. Et en ce sens nous devons écouter à nouveau les paroles d’Épictète : considère-toi comme un homme libre ou comme un esclave, cela ne dépend que de toi !